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"Y-a-t-il vraiment eu une guerre en Algérie ?" : la bibliothèque répond

Cette question a été posée à la bibliothèque par un internaute, via le service Eurekoi. En effet, le langage n’est pas neutre, il est même partie intégrante des conflits que se livrent deux parties opposées. Et chaque partie, par l’appellation qu’elle donne à ses adversaires ou au conflit lui-même, cherche à démontrer que la légitimité est de son côté. C’est le cas ici : « guerre » ou « maintien de l’ordre » ? Pourquoi cette difficulté à appeler « guerre » le conflit qui s’est déroulé en Algérie entre 1954 à 1962 entre la France et l’Algérie ? Pourquoi la guerre d’Algérie est-elle une « guerre sans nom » ?
 

La qualification de « guerre » : quelles difficultés et quels enjeux ?

Qu’est-ce que la « guerre » ? « Le terme de guerre est couramment employé à titre de métaphore pour évoquer un combat intense, animé par une forte volonté politique. Étymologiquement, le mot vient probablement du germanique…. On parle volontiers de « guerre contre la drogue », ou de « guerre contre le terrorisme », alors que l’emploi de la force militaire ne recouvre, dans ces domaines, qu’une partie des moyens employés. Mais au sens strict du terme, la guerre peut être définie comme un conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains : tribus, villes, communautés, mouvements politiques, États, empires, alliances, voire organisations internationales. » (Source : Chapitre 1 La guerre : concept et histoire, de Bruno Tertrais, dans La Guerre, éd. PUF, coll. Que sais-je ?, 2010, p. 7 à 20.)

Mais pourquoi ne pas qualifier le conflit en Algérie de « guerre » ?

Quelles difficultés ?

Les débuts de la guerre d’Algérie : errements et contradictions d’un engagement, par Frédéric Médard, revue Guerres mondiales et conflits contemporains 2010/4 (n° 240), p. 81 à 100.
Cet article très intéressant analyse les « erreurs d’appréciation » de la nature du conflit et les difficultés des protagonistes à comprendre la nature du conflit à la lumière de la suite confuse des évènements.
Extrait : « Parmi les autorités civiles et militaires, rares sont les responsables qui admettent qu’un puissant sentiment nationaliste anime désormais la masse des musulmans et qui, pour cette raison, croient à l’organisation et l’implantation durable d’une insurrection armée en Algérie. […]  Les forces de l’ordre, surprises, peinent à appréhender les particularités d’une lutte armée que les hommes politiques de la IVe République, puis de la Ve, refusent de reconnaître comme une guerre. C’est donc sous le nom générique « d’opérations de maintien de l’ordre que l’Armée s’engage sur le terrain et tente de s’adapter aux conditions du combat. »

Quels enjeux ?

« Dès 1955, le mot « guerre » constitua un enjeu autour duquel les crispations se durcirent au fur et à mesure des huit années que dura la lutte des Algériens pour leur indépendance. Banni des textes officiels et des discours gouvernementaux, il était sur toutes les lèvres dès le début du conflit. », est-il indiqué au chapitre Ce n’était pas une guerre mais des opérations de maintien de l’ordre (p.51 à 61, dans l’ouvrage Algérie : des « événements » à la guerre : idées reçues sur la guerre d’indépendance algérienne, de Sylvie Thénault, Le Cavalier bleu éd., 2012, consultable sur la plateforme Cairn.info) [Nous surlignons]

  • Un enjeu d’image de la France :
    S’il y a « refus de reconnaître, même rétrospectivement, la situation de guerre » , c’est entre autre dû au fait que cette guerre est « sans signification consensuelle, parce que le seul consensus possible consistait dans une mauvaise conscience générale, et que la désignation de ses motifs suffisait à opposer deux camps irréconciliables : ceux qui avaient honte d’avoir fait cette guerre et de l’avoir presque gagnée en recourant à des moyens illégaux et immoraux, et ceux qui avaient honte de l’abandon final qui l’avait rendue vaine et injustifiable. »
    Voir Les historiens de la Guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France, de Guy Pervillé, dans Concurrence des passés, de Maryline Crivello (dir.), Patrick Garcia (dir.) et Nicolas Offenstadt (dir.), Presses universitaires de Provence, 2006. Consultable sur OpenEdition.
  • Mais surtout, un enjeu politique d’unité de la République française, dont l’Algérie faisait alors partie :
    La guerre sans nom (chap. 1) de Benjamin Stora, dans La Gangrène et l’oubli, éd. La Découverte, coll. Poche Essais, 2005.
    Extrait : « Beaucoup plus explicite, et révélateur, est le discours enregistré, filmé, que François Mitterrand, en tournée dans l’Aurès, prononce à la fin du mois de novembre 1954. Il y exprime tout à fait clairement la volonté de ne pas admettre « l’état de guerre » […] Le ton est donné pour toute la suite : « dire la guerre », pour la France, ce serait déjà admettre la possible séparation de corps, la dislocation de la « République une et indivisible ». Ce que toute la classe politique de l’époque (à l’exception des minorités trotskistes et anarchistes) se refuse à considérer. » [Nous surlignons]

Une guerre qui n’a pas toujours dit son nom, avant l’indépendance de l’Algérie par Chloé Leprince, radiofrance.fr/franceculture, le 04/07/2022.
Extrait : « L’indépendance de l’Algérie a 60 ans, et la « guerre sans nom », ce n’est pas seulement le titre d’un film de Bertrand Tavernier ou un cliché sur la guerre d’Algérie : c’est aussi le résultat d’une volonté politique, durable, pour éviter de parler d’une guerre qu’on a tout fait pour taire. »

Une dénomination admise aujourd’hui

L’expression « guerre d’Algérie » pour désigner cette période historique fait aujourd’hui consensus parmi les historiens comme dans le langage commun.

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