Pour soutenir toutes celles et tous ceux qui sont confinés chez eux durant l'épidémie de Covid-19, et en relai de l'opération"Culture chez nous" du MInistère de la culture, l'Institut du monde arabe se virtualise et met en place #LImaALaMaison, une programmation spéciale sur son site et les réseaux sociaux.
Pendant une petite dizaine d'années, à la création de l'IMA, un gourmet érudit signa une succession de rubriques dans la revue de l’Institut, Qantara, sous le pseudonyme de Ziryâb. Autant d'odes à la gastronomie arabe d'hier et d'aujourd'hui et à l'histoire des fruits, légumes et condiments qui font toute sa saveur. Ce sont ces « Propos de table », aujourd’hui introuvables, que nous vous proposons de redécouvrir ici
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D’où vient la pistache ? « D’Iran, évidemment, comme la noix et la grenade », s’empresseront de répondre mes amis iraniens. En quoi, ils n’auront pas tort, sans avoir entièrement raison pour autant. La pistache, en effet, doit beaucoup à leur merveilleux pays, et d’abord son nom, pesteh, devenu pistakia en grec, pistacia en latin et fustuq en arabe. Mais elle est redevable à un autre pays, à savoir la Syrie, de ce qui est peut-être plus important que le nom : le renom. A cet égard, rappelez-vous l’Histoire de Joseph, à la fin du Livre de la Genèse : Jacob en personne y faisait de la réclame pour la pistache, la citant parmi les meilleurs produits de Canaan, avec l’amande et la gomme arabique. Et ce fut en Syrie que les Romains la connurent, et de Syrie qu’elle partit à la conquête de Rome, en l’an 37 selon Pline l’Ancien, grâce à un gouverneur raffiné, Lucius Vitellius – qu’il ne faut pas confondre avec son fils Aulus, l’affreux empereur goinfre.
Vers la même époque, un médecin et botaniste grec, Dioscorides, notait que les pistaches syriennes étaient les plus délicates, ce qu’un autre médecin grec, et non des moindres, Galien, viendra confirmer un siècle plus tard. Les deux hommes de l’art ne pouvaient alors se douter que leurs patries respectives, l’actuelle Turquie et la Grèce, allaient devenir au XXe siècle de nouvelles terres de missions pour le pistachier. Les fruits qu’on y récolte sont aussi savoureux, quoique moins charnus, que ceux d’Iran ou de Syrie, et il leur arrive même de les surpasser. En outre, identiques par la taille, la consistance, la couleur et le goût, ils ont le mérite d’échapper à la chamaille qui, en toute chose et sous n’importe quel prétexte, oppose les Grecs aux Turcs.
Mais restons en Syrie. Et quand je dis Syrie, s’agissant de la pistache, je n’entends, bien sûr, qu’Alep et sa région. C’est là, dans un verger à l’est de la prestigieuse cité, qu’enfant, j’eus la chance inouïe d’admirer les pistaches en grappes, drupes magiques qui s’ouvraient la nuit et crépitaient sous leurs robes rouges, à l’appel de la pleine lune, et j’en suis encore émerveillé. Il est d’ailleurs très rare, dans tout l’Orient arabe, de prononcer le mot fustuq sans lui accoler l’adjectif halabî, qui veut dire alépin, indiquant ainsi, en même temps, et l’origine dudit fustuq et son excellence, comme une appellation contrôlée d’un grand vin. Mais les vrais connaisseurs ne se contentent pas de ces considérations générales ; ils vont loin dans la précision, distinguant les pistaches ‘âchourî, les plus fines, des bâtourî, les plus précoces, et ces deux variétés des ‘ajamî, plutôt banales, et surtout des jahhâchî (bourricot), qu’on désigne de ce sobriquet, m’a-t-on affirmé, parce que leur coque est tellement dure que seule un âne peut en venir à bout. Ne les confondez pas, cependant, malgré leur appellation d’origine animale, avec les nâb-al-jamal (crocs de dromadaire), une tout autre variété, qui ne manque pas s’atouts, ainsi nommée en raison de sa forme allongée et pointue. Et elle n’est pas la seule dans ce cas à Alep, car vous y pourriez aussi prendre langue, si je puis dire, avec les lisân al-’usfour (langues d’oiseau), toutes petites mais délicieuses. J’imagine que ces dernières ont mérité leur joli surnom du fait de leur coque fendue, un peu comme ces pistaches grillées et salées qu’a décrites le poète Ibn Sukkara, au Xe siècle, et dont il a comparé l’enveloppe entrouverte au bec d’un volatile, et le cœur comestible à sa langue.
Image assez plaisante, qui me rappelle une autre, plus ancienne, sur laquelle se sont succédé une bonne dizaine de poètes paysagistes, d’Ibn al-Mu‘tazz à Sanaw-barî, et qui fait de la pistache, à cause de sa triple défense, une émeraude voilée de soie, puis enchâssée dans un bijou en ivoire, puis sertie dans un rubis. Vous vous doutez bien que ce n’est pas pour leur valeur poétique, qui est très mince, que je cite ces vers. Mais l’invocation des pierres précieuses nous transporte d’emblée vers un monde de luxe et de volupté, et c’est là que je veux en venir.
Où trouve-t-on, en effet, la pistache sinon dans les farces les plus riches, les friandises les plus fines, les entremets les plus recherchés ? Autrefois, cela pouvait même friser le vice, ainsi que le rapporte Maqrîzî, dans ses Khitat, à propos des dragées musquées qu’offrait à ses convives un cadi fatimide, la plupart d’entre elles contenant une pistache, et quelques-unes de l’or. Le festin dégénérait toujours en pugilat, si bien que le juge pervers dut renoncer à son petit jeu. Fort heureusement, la littérature arabe fait état d’autres usages de la pistache qui, tout en étant fastueux, n’excitaient pas la cupidité des hommes, mais leur appétit. Ainsi en était-il de la spécialité cairote, dite tayâfîr, dont parle le même Maqrîzî, ou du nâtif qu’a goûté le géographe Ibn Hawqal à Manbij, près d’Alep, apprêté avec des raisins secs, des noix, des pistaches et des graines de sésame.
Stan Shebs
L’historien alépin Ibn al-’Adîm, lui, et pour cause, s’est fait un malin plaisir, dans son grand livre de cuisine, d’introduire les pistaches dans quantité de recettes, salées, sucrées ou salées et sucrées, où elles sont, le plus souvent, grillées puis réduites en poudre ou en purée. Parmi elles, j’apprécie en particulier les ragoûts dans lesquels la pistache est associée à des fruits acidulés, comme le coing et la pomme, ou à des légumes sucrés, comme le potiron et la carotte. Et je me dis que ce n’est pas pour rien que les cuisiniers du Paradis, selon Ma’arrî, dans L’Epître du pardon, se recrutent à Alep, génération après génération !
Sachez, cela étant, que les Européens, notamment les Français, peuvent s’enorgueillir, eux aussi, de ce qu’ils ont fait de la pistache, ou plutôt de ce que leurs ancêtres en ont fait. Je ne pense par là à la hure de porc ou à la mortadelle, ni aux glaces dites abusivement « à la pistache », mais aux étonnantes recettes que donnait un Jean de la Lune, en 1656 : tourtes, avec cannelle, ambre et musc, « nulle » verte, avec jus de poirée et grains de grenade ; omelettes même, potages, beignets, pâtes… A quoi un mystérieux L.S.R. ajoutait, en 1674, une confiture, plusieurs gâteaux, petits et grands, et une crème parfumée à l’eau de fleur d’oranger et à l’écorce de citron. Le XVIIIe siècle allait faire encore mieux comme en témoignent les diablotins, meringues et dragées du fameux Dictionnaire portatif de cuisine. Mets savoureux dont il ne nous reste aujourd’hui, pour la majeure partie, qu’un vague souvenir, et que nous retrouvons parfois, au hasard des lectures, sur des tables insolites, comme celle de la belle Haïdée et Don Juan dans le célèbre poème de lord Byron.
Les amateurs de pistaches doivent donc, ici et maintenant, tourner leurs yeux vers l’Orient, et c’est là qu’ils pourront assouvir tous leurs désirs avec au moins deux merveilles alépines, les Karâbîj et la Kunâfa Ballouriyya, et deux damascènes, la baklava dite Kul wa-Shkur (littéralement « mange et remercie le Seigneur ») et la Kunâfa mabrouma. Mais ils ne seront pas déçus de la compagnie d’autres spécialités d’Alep, comme siwâr al-sitt (le bracelet de la dame), ghazl al-banât (le filage des jeunes filles), buqjat al-’arous (le baluchon de la jeune mariée) et l’incomparable mâmouniyya, décorée de pistaches et servie avec de la crème fraîche.
Il existe enfin un délice à la pistache qui ne ressemble à aucun autre, inventé par un confiseur damascène dans un moment d’inspiration. Il consiste d’abord en abricots de la Ghouta de Damas, cueillis à maturité et confits dans les règles de l’art. Et ces abricots si fondants, si parfumés, si beaux, sont ensuite farcis de pistaches d’Aelp, celles-ci ayant été au préalable grillées et légèrement caramélisées. Si l’on vous l’offre un jour, ne vous jetez pas dessus mais choisissez-en deux ou trois, pas plus, et allez-y lentement, très lentement, en vous concentrant sur le sens profond de votre geste. Et vous connaîtrez alors le goût subtil de la Syrie.
Ziryâb
350 g. blancs de poulet
50 g. pistache en poudre
50 g. poudre d’amande
15 g. de sucre
15 g. de graines de pistache
Beurre
Une pincée de cannelle
Faite bouillir le poulet dans de l’eau salée pendant un quart d’heure, et effilez-le le plus fin possible.
Dans une casserole, faites-le revenir dans un peu de beurre, puis couvrez d’eau, ajoutez la poudre de pistache et d’amande, ainsi que le sucre et la cannelle. Laissez cuire à feu doux pendant une demi-heure.
Disposez dans un plat et décorez avec les graines de pistache.
N.B. Recette d’al-Warrâq (Xe siècle), mise au goût du jour par David Waines, mais j’assume seul la responsabilité du beurre et de la cannelle. Ibn al-‘Adim donne plusieurs variétés de cette préparation, lui ajoutant eau de rose, miel, feuilles de bettes, musc.
(pour 6 personnes)
(recette syro-libanaise)
2 l. de lait
100 g. de riz en poudre
250 g. de sucre
400 g. d’amandes émondées
150 g. de pistaches hachées
2 cuillerées à soupe d’eau de rose
2 cuillerées à soupe d’eau de fleur d’oranger
Une pointe de poudre de mastic dans un petit sac en étamine
Pilez soigneusement les amandes après les avoir émondées. Mettez-les dans un sac en étamine et ajoutez-y un peu d’eau, ou mieux, du lait. Pressez dans un récipient, puis pilez les amandes de nouveau et répétez l’opération autant de fois qu’il le faut pour extraire tout le jus des amandes.
Faites dissoudre le riz en poudre dans le jus d’amande, ajoutez le petit sac de mastic, l’eau de fleur d’oranger, l’eau de rose, et versez le mélange dans la casserole où vous aurez fait bouillir le lait. Portez à ébullition et incorporez le sucre peu à peu, puis laissez cuire, pendant une heure, sur feu moyen, en remuant sans cesse.
Votre entremet est prêt lorsqu’il adhère à la cuillère.
Versez-le alors dans des bols et laissez-le refroidir.
Saupoudrez généreusement de pistaches et servez.
N.B. Certains ajoutent de la noix de coco, mais c’est superflu.
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