Terminé
26 novembre 2005

La fratrie des qawwâli

Asif Ali Khan & party

Le genre musical qawwâli puise sa source dans le ghazal, tradition poétique orale pratiquée à l’origine par les mystiques zoroastriens de l’antique Perse. Les poètes récitaient et improvisaient les vers à travers la nuit, appelant en un tissage métaphorique, sur eux et sur l’auditoire, l’unité ultime, l’extase sublime.
Ce verbe délicat auquel on attribue aujourd’hui encore la capacité de créer un lien direct avec Dieu fut ensuite repris et porté en musique par les confréries soufies, pour devenir ce qu’on appelle le qawwâli (de l’arabe qaul, «le verbe », «la parole », «l’action de dire»).
En persan, hindi ou ourdou, selon l’origine des couplets, le chanteur, qawwâl, se consacre au don du mot pour provoquer l’état de grâce (amad) et emporte la parole du poète inspiré sur des rythmes effarants accompagnés de claquements de mains, du dholak (tambour traditionnel oblong à deux côtés servant d’accompagnement rythmique) et parfois même de sitars, tars et tablas soutenant la base rythmique; la répétition des invocations «transcendantales » par les choeurs ne laisse aux acteurs en présence que le choix de se perdre un instant et de céder à l’emprise émotionnelle.

Après avoir accompagné les deux migrations perses majeures en Inde du Nord (vieilles respectivement de sept cents et mille cent ans) et traversé les influences musicales de la Turquie, de l’Afghanistan ou encore de l’Ouzbékistan, la musique classique hindoustani, et le qawwâli en particulier, va connaître un essor modal et poétique notamment attribué au poète indo-persan Abdul Hassan Yaminuddin Khusrau (1253-1325), reconnu par ses pairs comme un maître. Grâce au génie de ses ghazals, il incita les chanteurs populaires à se tourner vers les formes qawwâli, sortant celles-ci du cercle privé des confréries. En Occident, l’apogée et la démocratisation du qawwâli est plus récente et s’attache au nom du grand Nusrat Ali Khan (1948-1997).

Dans la continuation de son maître Nusrat, Asif Ali Khan perpétue le style Penjab du qawwâli. Né au Pakistan à Lahore en 1973, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de qawwâls renommés (Mian Maula Bakhsh, Santoo Khan…), il perpétue avec brio l’héritage familial en dirigeant l’ensemble Manzoor Hussain Santoo Khan Qawwal & Party. Créé il y a quatre-vingts ans en Inde par ses aïeux, celui-ci doit également beaucoup à Manzoor Hussein, le père d’Asif, qui a eu le mérite d’avoir su conserver l’unité et l’engagement du groupe, composé en grande partie de ses fils.

À les écouter, on abandonne coeur et raison à la confiance d’un rythme qui semble tout d’un coup universel, intemporel. Il ne reste plus qu’à le laisser pénétrer, puis à danser…