Le rucher de l'IMA fête ses sept ans
Trouver la couleur
Entretien avec Mélodie Hojabr, illustratrice des “Contes berbères de mon grand-père”
Mélodie Hojabr est l’illustratrice des Contes berbères de mon grand-père, qui viennent de paraître (septembre 2022) chez Orient Éditions. Rencontre enchanteresse avec une artiste franco-iranienne qui, pour tromper les pages noires de sa vie, a « voulu trouver la couleur »… et y est parvenue, ô combien !
Illustratrice des Contes berbères de mon grand-père (Orient Éditions, septembre 2022), Mélodie est aussi une collègue, qui travaille à la librairie de l’IMA – ce qui n’est pas accessoire, comme on le lira. Nous nous croisons peu ; je ne la connais pas. Elle pousse la porte de mon bureau : trois vers me viennent à l’esprit : « Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts , / Et c’était un esprit avant d’être une femme / Son regard reflétait la clarté de son âme »… Rencontre.
Mon parcours n’a pas été sans souffrance. Mais si je n’avais pas souffert, je n’aurais pas autant recherché la beauté. Ma vie, c’était des pages noires, et j’ai voulu trouver la couleur. Mon seul moyen de m’exprimer, c’était le dessin et l’art. La lumière, c’était l’espoir.
Un mot sur votre parcours ?
Celui d’une parfaite autodidacte et d’une totale biculturelle ! Je suis née et j’ai vécu en France jusqu’à mes dix ans, avant de partir pour l’Iran où j’ai vécu jusqu’à 18 ans. Puis retour en France, où je vis depuis lors.
Pour ce qui est du dessin, j’ai toujours dessiné ; ma toute première exposition date de 2009, dans une MJC de Créteil. Puis j’ai enchaîné les expositions, personnelles ou collectives, en France et ailleurs : Iran, Dubaï, Suisse, Pays-Bas – une de mes œuvres a été acquise par un musée à Amsterdam. Ce qui m’a beaucoup servi, c’est de partager mon travail sur les réseaux sociaux : j’ai pu percer parce que j’y avais créé un public. C’est ainsi que j’ai été repérée par une agence artistique, que j’ai participé à des concours de dessin en Iran et commencé à exposer un peu partout.
Votre inspiration première ?
J’avais besoin d’exprimer ce que j’ai vécu, ici, là-bas et entre les deux ; besoin de créer mon monde, de trouver mes mots, et je les ai trouvés. Mon parcours n’a pas été sans souffrance. Mais si je n’avais pas souffert, je n’aurais pas autant recherché la beauté. Ma vie, c’était des pages noires, et j’ai voulu trouver la couleur. Mon seul moyen de m’exprimer, c’était le dessin et l’art. La lumière, c’était l’espoir.
De retour en France, j’ai commencé à m’intéresser à la miniature persane, et il m’est venu l’envie de créer des miniatures à mon tour, mais en plus modernes. Il faut dire qu’en France, on a la chance d’avoir un accès assez large aux miniatures persanes, que l’on peut voir de près – bien plus facilement qu’en Iran, où on commence tout juste à proposer, dans les librairies, des ouvrages (en langue anglaise) consacrées à ce sujet. C’est en rangeant le rayon « Miniatures » de la librairie de l’IMA que j’ai retrouvé une partie de mon patrimoine !
Mon personnage de « Super Rostam » est directement inspiré du héros mythique de la Perse antique – j’en ai fait des stickers que je collais dans les rue de Téhéran, ça avait fait le tour du monde ! Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas grand monde pour s’intéresser aux symboles de la société iranienne, les jeunes Iraniens étaient plutôt tournés vers l’univers occidental. Actuellement, je sens un petit retour, c’est un peu plus à la mode.
Des collectionneurs iraniens me disent que je suis la seule de ma génération à représenter profondément notre culture persane ; en même temps, des Européens m’affirment se retrouver eux aussi dans mes productions. Mon travail, c’est un dialogue, un mix entre mes deux cultures, avec des personnages à la fois inspirés de l’Iran et de mon enfance française. Mais je cherche avant tout à être moi-même, une femme qui tente de métamorphoser ce qu’elle capte, de prendre les bonnes choses d’ici et de là-bas ; mon travail, c’est de l’amour, de la couleur et de la lumière ; c’est une force.
J’avais envie de donner une nouvelle couleur à ces contes anciens, de les rendre accessibles à un public différent tout en restant fidèle au texte et à ce patrimoine.
Venons-en à l’illustration des Contes berbères de mon grand-père. Aimez-vous les contes ?
Dans le système scolaire iranien, on baigne dans les contes : dès son plus jeune âge, on doit apprendre les textes anciens, cela fait partie du parcours scolaire. Pour moi qui ai appris le farsi à l’âge de 10 ans, cette découverte a été un plaisir. C’est ainsi que je suis tombée amoureuse de la littérature persane et que j’ai connu mes premières nuits blanches, à lire toute la nuit… En deux mois, mes notes ont grimpé de 0 à 20 sur 20 ! J’ai appris toute seule, et pour moi, c’était une expérience magnifique. Peut-être était-ce dû à mon regard neuf de fille fraîchement débarquée de France ? Peut-être le rapport à la littérature persane était-il autre pour mes condisciples qui baignaient déjà dans cette culture ? Moi, je suis tombée amoureuse de cette langue. Et en même temps, je n’arrêtais pas de me procurer des recueils de poésie française et de parler français avec ma mère. Cela me permettait de m’exprimer, c’était mon langage secret…
De la Kabylie à l’Iran, il y a loin…
Ce n’est pas faux ! Et même si l’illustration de ces contes m’a été proposée parce qu’on y voyait mon univers, lorsqu’on m’a remis le manuscrit, j’ai eu tout d’abord bien du mal à m’y retrouver : ils sont bien cruels, ces contes… Alors j’ai pris ce travail comme un challenge, d’autant que c’était ma première expérience en tant qu’illustratrice de livres.
Puis, à force de les lire et de les relire, j’ai commencé à y retrouver le monde d’aujourd’hui, quelque chose du quotidien actuel, un reflet de la société avec ses difficultés – un écho à la période que nous traversons. Et puis les histoires se concluent toujours sur une note positive, c’est à cette lueur d’espoir que je me suis attachée. Les contes me sont devenus de moins en moins étrangers même si, en Iran, dans l’univers des contes (qui sont plutôt des légendes), le rapport entre femmes et hommes est différent – en Iran, les femmes peuvent avoir le pouvoir ! Concernant la relation entre animaux et êtres humains, on retrouve davantage de ressemblances. En somme, petit à petit, je suis entrée dans cet univers – il doit y avoir une part de berbère en chacun de nous, ou une part d’universel dans toutes les cultures. Et puis travailler à l’IMA m’a aidée une fois encore : je m’y étais familiarisée avec la culture kabyle à travers les livres.
Au final, j’ai pris beaucoup de plaisir à cette première expérience. Ce challenge, cette contrainte m’ont amenée à pousser ma concentration au maximum. J’avais envie de donner une nouvelle couleur à ces contes anciens, de les rendre accessibles à un public différent tout en restant fidèle au texte et à ce patrimoine. Cela m’a beaucoup apporté, et appris à avoir moins peur de me risquer en terrain inconnu, de m’exprimer sans crainte avec mes traits et mes couleurs.
Et même s’il est vrai qu’en France, on s’est un peu éloigné des contes, j’espère bien que le livre trouvera son public !