Interview with Nizar Habash
Ma langue arabe
Entretien avec Tarek Abouelgamal, coordinateur pédagogique au Centre de langue de l’IMA
Tarek Abouelgamal est enseignant et coordinateur pédagogique au Centre de langue et de civilisation arabes de l’IMA. La langue arabe, sa langue maternelle, il l’aime et la chérit. Et plaide pour un enseignement vivant, axé sur la communication et l’échange.
Tarek Abouelgamal a débuté l’enseignement de l’arabe voici douze ans auprès d’associations puis d’organismes de formation professionnelle, avant de rejoindre l’IMA en 2016.
Tarek, qui a grandi en Égypte avant de poursuivre des études universitaires en France, à Bordeaux puis à Paris, a soutenu en 2017 sa thèse consacrée à « L’argumentation dans les manuels d’arabe littéral et dialectal ». Il y met en lumière les insuffisances de l’enseignement de l’arabe en France et la négligence de l’aspect communicatif au profit d’une approche trop théorique.
Le CLCA m’a attiré, car je recherchais un lieu offrant un type d’enseignement qui n’est pas réellement proposé à l’université à l’heure actuelle : un lieu où la pratique de la langue soit au cœur des formations. Et puis le CLCA est un lieu vivant, que j'ai vu évoluer et grandir, notamment avec le lancement du CIMA en 2018…
Pourquoi avoir choisi l’enseignement ?
Ma mère était professeur de chimie, mon frère aîné, professeur de droit. Mais, personnellement, ce sont les langues qui m’ont toujours fasciné, notamment dans leur usage quotidien.
En Égypte, à l’école, j’avais un prof de grammaire qui s’appelait Ayman Yahya. Il devait mesurer 1,50 m mais il avait une grosse voix – c’était un fumeur invétéré qu’on ne voyait jamais sans une cigarette à la main. Il faisait peur, mais inspirait aussi le respect. C’est cet homme à la fois redouté et très apprécié qui m’a donné envie d’être professeur à mon tour.
Quel est votre lien avec la langue arabe ?
C’est une question difficile ! Selon moi, la langue arabe est l’une des plus importantes, des plus anciennes et des plus belles au monde. Mais c’est surtout ma langue maternelle. À en croire certains linguistes, l’arabe standard n’est la langue maternelle de personne ; mais sans vouloir les heurter, ça l’est tout de même pour moi, et j’ai avec cette langue le même rapport qu’avec ma mère : elle me rassure et m’inquiète en même temps. Elle m’inquiète, parce que maîtriser au plan littéraire une langue aussi ancienne, qui a évolué dans des cadres historiques et géographiques aussi différents, est une tâche immense, impossible à accomplir par un seul individu ! Mais, et c’est paradoxal, la langue arabe me rassure également.
Pourquoi avoir choisi d’enseigner au sein du Centre de langue de l’IMA ?
Après mon master, que j’avais obtenu à l’université Paris IV (Paris Sorbonne), j’ai débuté ma thèse dans la même université. Je souhaitais parallèlement continuer à enseigner, mais cette fois-ci hors du cadre universitaire.
Le CLCA m’a attiré, car je recherchais un lieu offrant un type d’enseignement qui n’est pas réellement proposé à l’université à l’heure actuelle : on a le choix entre un apprentissage pour non-spécialistes, de type Sciences Po (deux ans d’arabe théorique avec un niveau assez basique), ou pour spécialistes, comme à la Sorbonne, avec un travail très axé sur la littérature et la grammaire.
Le problème, c’est qu’avec ce type de formation, on peut accumuler les connaissances grammaticales d’une langue sans pour autant être capable de passer spontanément à l’oral… En d’autres termes, on peut se retrouver « spécialiste » d’une langue dans laquelle on n’est pas réellement capable de s’exprimer – sans parler de la maîtrise des dialectes. Se spécialiser en arabe équivaut, dans cette perspective, à se limiter à la connaissance de l’histoire, de la littérature et de la sociologie du monde arabe. Il se trouve même des socio-linguistes pour s’intéresser à des questions de langue et de société, comme les dialectes, sans pour autant maîtriser la langue arabe !
Au CLCA, au contraire, la pratique de la langue est au cœur de toutes nos formations. Et puis, c’est un lieu vivant, que j’ai vu évoluer et grandir. Je songe notamment à la publication de la méthode d’enseignement Ahdaf (2015) ; nous sommes l’un des rares centres à produire nos propres ressources pédagogiques et à avoir créé et distribué notre méthode d’enseignement – Ahdaf a même été traduit en allemand ! Je pense aussi et surtout au Certificat international de maîtrise en arabe (CIMA), qui a été lancé en 2018 et pour lequel l’IMA organise dorénavant des sessions chaque année, à Paris et à travers le monde. Et tout au long de l’année, le CLCA est ponctué de temps forts : le spectacle du jeune public, la Journée portes ouvertes du Patrimoine, la Fête de la langue arabe…
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?
J’ai deux casquettes : enseignant et coordinateur pédagogique. Dans l’enseignement, ce que je préfère, c’est la transmission. Il se noue entre l’enseignant et ses étudiants un rapport singulier auquel je ne trouve aucune comparaison.
Concernant la coordination pédagogique, j’aime à servir de pont entre les enseignants et la direction. Ayant été « du côté » des enseignants, je les connais très bien. Au quotidien, mon rôle est d’être, sur tous supports (par mail, par téléphone, en direct), à l’écoute des uns et des autres. Je joue le rôle de pont entre les cultures, même si je considère que c’est là un rôle endossé par tout enseignant d’arabe, qu’il en soit conscient ou pas.
À quels défis se heurte aujourd’hui l’enseignement de l’arabe en France ?
Le premier défi auquel est confronté le Centre de langue est lié à l’enseignement à distance : avec la crise sanitaire, tout le monde a dû passer aux cours en ligne, et nous en avons profité pour concevoir de nouveaux projets d’e-learning, des cours à distance et plus concentrés. Or, il faut pour ce cadre définir de nouveaux objectifs pédagogiques et de développement des compétences, et imaginer de nouvelles présentations, des parcours complets.
Il y a aussi des défis idéologiques, ce que j’ai découvert en rédigeant ma thèse. J’ai réalisé que ce poids idéologique est très fort et qu’il existe depuis longtemps. Alors que l’arabe est enseigné en France depuis le XVIe siècle, on a vu apparaître la mention de cet enseignement dans les discours politiques et médiatiques : on craint la diffusion de l’arabe, on crie à l’arabisation de la France… De tels discours introduisent une profonde confusion, mêlant la langue arabe, qui n’a rien à y faire, à un contexte géopolitique certes complexe. Je déplore que l’arabe ne puisse être enseigné d’une manière neutre. C’est le cas de toutes les langues, bien sûr. Mais si nous avons une « idéologie », au CLCA, c’est simplement celle de faciliter la communication entre les gens, ce qui est louable. Chacun des enseignants est bien conscient d’avoir pour objectif premier de permettre aux apprenants de communiquer avec 450 millions d’arabophones.
Précisément, comment l’apprentissage de l’arabe au CLCA permet-il une meilleure communication entre cultures ?
Les règles de grammaire ne suffisent pas à garantir une bonne communication, et le CLCA l’a bien compris. Il ne suffit pas de formuler correctement des phrases : communiquer, c’est aussi connaître la culture, être capable de saisir ce qu’on appelle en linguistique la « pragmatique » d’une situation. Si une personne qui apprend le français tutoie une personne d’un certain âge, sa phrase aura beau être grammaticalement irréprochable, elle sera inadaptée au niveau pragmatique. En arabe, on pourrait trouver un équivalent avec les nombreuses expressions qui utilisent le nom d’Allah, et dans lesquelles les apprenants perçoivent à tort une connotation religieuse, alors que les employer ne signifie absolument pas qu’on est musulman ou chrétien, ni même croyant. Ces particularités socio-linguistiques, que l’on ne peut saisir qu’à l’usage, sont très présentes dans nos cours.