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La langue arabe, part de notre humanisme
En écho aux propos du président de la République Emmanuel Macron au sujet de la langue arabe, le 4 décembre dernier sur le média en ligne « Brut », l'agrégé d'arabe et professeur de classes préparatoires Pierre-Louis Reymond défend avec force l'importance de son enseignement. Car la langue arabe est un « Trésor de France », rappelle-t-il, citant le titre du dernier ouvrage de Jack Lang.
Pierre-Louis Reymond. D.R.
Vendredi dernier 4 décembre, le président de la République s’est adressé aux jeunes pendant plus de deux heures sur le média en ligne Brut pour évoquer de nombreux sujets brûlants de l’actualité. Au détour d’une évocation de l’assassinat tragique de Samuel Paty, de l’islam et de la liberté d’expression, une intervenante est revenue sur la nécessité d’enseigner l’arabe en France, question lancinante, récurrente, constamment soulevée, peu suivie d’effets, et surtout connectée, par ignorance des enjeux cruciaux qu’elle pose, à des surenchères idéologiques qui obstruent la sérénité du débat.
Pour la première fois, au plus haut niveau de l’État, la question de l’enseignement de l’arabe en France est évoquée avec précision dans un entretien sur un média considéré comme à haute valeur ajoutée par les 18-40 ans, dans un souci de clarté pédagogique d’autant plus louable qu’il fait le lien fondamental entre culture, société et actualité.
C’est suffisamment rare pour le souligner. Oui, la langue arabe est une chance pour la France, un trésor de France explique Jack Lang dans le récent ouvrage qu’il lui a consacré. J’ajouterai que la langue arabe est une part de notre humanisme. Il n’est, pour s’en convaincre, que de citer Rabelais, précisément la lettre que destine à Pantagruel son père Gargantua, où l’apprentissage des langues le dispute à une formation de l’esprit dans laquelle l’ouverture apparaît comme un pilier primordial des humanités au même titre que que tous les autres : « J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement : premièrement la Grecque, comme le veut Quintilien, secondement la Latine, et puis l'Hébraïque pour les Saintes Lettres, et la Chaldaïque et Arabique pareillement. »
Que le Président de la République ait fait mention, et avec insistance, de ce besoin des familles locutrices de l’arabe, dialectal, parfois aussi littéraire, de cultiver une langue et une culture consubstantielles à leurs racines constitue une avancée certaine sur cette question cruciale de la place de la langue et du monde arabes dans l’identité culturelle de la France. Le minimiser, c’est renoncer à une part de nous-mêmes, enfants de la République, c’est à dire soucieux de la diffusion d’un savoir… brut qui fasse triompher la puissance d’analyse de la raison sur les impasses passionnelles de l’obscurantisme et des idéologies mortifères.
Familles locutrices de l’arabe oui, mais aussi, ne l’oublions pas, toute personne désireuse d’apprendre l’arabe, démarche résultant bien souvent d’une analyse objective des enjeux du monde contemporain, laquelle fait apparaître la maîtrise de la langue arabe comme un atout majeur, notamment et de manière non exhaustive, dans les domaines journalistique, entrepreneurial, diplomatique, mais aussi cinématographique et musical.
Face aux pétitions de principes, aux manipulations discursives, aux tentatives tous azimuts de s’en prendre à ce qui fait la France, il est urgent d’insister sur le lien indissoluble qui nous relie au monde, à la langue, et à la culture arabes.
Comment continuer à méconnaître les enjeux du Discours décisif d’Averroès, que l’on commence tout juste à aborder en classe de Terminale ?
Commençons par le commencement : la langue, justement; notre langue française, combien de termes empruntés à l’arabe ne cessons nous d’utiliser dans notre quotidien ! Continuons avec notre patrimoine universel : combien de familles n’auront-elles pas songé en ces fêtes de Noël à offrir une fois de plus les contes des Mille et une Nuits !Poursuivons, combien de visiteurs de Paris, la plus belle ville du monde aux dires de beaucoup, n’auront-ils pas prévu de placer l’Institut du Monde Arabe aux tous premiers rangs de la programmation des visites envisagées ?
Mais parlons à nouveau fondements, fondements d’une culture partagée en humanités : comment continuer à méconnaître les enjeux du Discours décisif d’Averroès, que l’on commence tout juste à aborder en classe de Terminale ? Comment oublier l’œuvre volumineuse de Louis Massignon consacrée à al-Hallaj, l’un des plus grands mystiques de la pensée musulmane ? Comment ne pas se rappeler que la traduction du Coran de Régis Blachère, naguère professeur à la Sorbonne, si abondamment glosée, annotée, expliquée par l’auteur lui-même constitue une référence majeure pour l’étude de la civilisation arabo-musulmane ? Comment faire l’impasse sur la Renaissance arabe des lettres et des arts, initiée au XIXe siècle et poursuivie durant la première moitié du XXe, au cours de laquelle les intellectuels arabes ont été à l’avant garde d’un projet laïc qui a notamment donné naissance au développement d’un mouvement de modernisation de la langue arabe, lequel a engendré la création de la première académie de langue arabe, la naissance du mouvement nationaliste arabe, mais aussi d’une presse foisonnante dont la liberté d’expression quasiment inégalée a fait date.
Alors oui, en matière de communication sur la langue, le monde et la culture arabes, soyons « bruts », ne nous laissons pas confisquer notre humanisme, fondement de notre identité plurielle, par l’hydre idéologique sur laquelle prospère une volonté de puissance destructrice si bien servie par l’ignorance coupable.