Le rucher de l'IMA fête ses sept ans
Donner à voir : la Donation Claude & France Lemand entre au musée de l’IMA
Entretien avec Eric Delpont, conservateur du musée de l'IMA
Quand deux collections sœurs se rencontrent… Eric Delpont, le conservateur du musée de l’IMA, revient sur une fusion exceptionnelle et riche de perspectives : celle de la Donation Claude & France Lemand avec le fonds d’art moderne et contemporain de l’IMA.
Nous allons devenir un fonds de ressource pour certains artistes, en particulier Abdallah Benanteur pour l’Algérie, Shafic Abboud pour le Liban et Dia Al-Azzawi pour l’Iraq.
Eric Delpont
La Donation Claude & France Lemand à l’IMA, c’est un peu l’histoire de deux pionniers qui se rencontrent…
Exactement ! La collection du musée de l’Institut et celle de Claude et France Lemand ont été initiées toutes deux au début des années 1980, alors que l’art arabe moderne et contemporain était encore relativement confidentiel. Et montrer de façon permanente la création du Monde arabe à partir de la deuxième moitié du XXe siècle a été l’une des grandes originalités de notre musée à son ouverture. Or, dès les années 1990, les espaces dans lesquels se déployait la collection contemporaine ont été affectés aux expositions temporaires. Nous nous étions rendus à l’évidence : c’était ce type d’expositions qui générait du public et son renouvellement.
Puis, en 2008, sous l’impulsion de feu Dominique Baudis, décision a été prise de repenser le musée ; et vous vous êtes d’emblée réorienté vers un type de présentation qui intégrait la création moderne et contemporaine…
… Mais pas avec l’ampleur que nous aurions souhaitée. C’est pourquoi la fusion de la Donation Claude & France Lemand à la collection du musée nous amène à réfléchir à une évolution de la muséographie, même si nous entendons conserver une approche historique du monde arabe depuis ses origines. Cette donation augmente de deux tiers notre collection moderne et contemporaine, avec des œuvres plus diversifiées dans leurs supports, leurs techniques, et davantage d’artistes.
Quelle sera la grande force de cette collection enrichie ?
Un corpus d’œuvres majeures et pour beaucoup réalisées par des créateurs qui ont exploré plusieurs domaines et ne se sont pas exclusivement dédiés à la peinture ou à la sculpture, par exemple. Claude et France Lemand, contrairement à d’autres collectionneurs, entretiennent des liens avec les artistes qu’ils achètent : dès l’origine, ils ont fait le choix de se laisser guider par l’émotion, de suivre leurs artistes et d’acquérir plusieurs de leurs œuvres. Nous allons devenir un fonds de ressource pour certains artistes, en particulier Abdallah Benanteur pour l’Algérie, Shafic Abboud pour le Liban et Dia Al-Azzawi pour l’Iraq.
Autre point fort, qui caractérisait déjà notre propre collection : tout ce qui touche de près ou de loin aux arts graphiques et au livre. Il s’agit d’un domaine en lien avec l’histoire du Monde arabe, où l’écrit a toujours eu une place très importante. C’est bien sûr un des motifs de la passion de Claude Lemand pour les livres d’art ; une autre raison étant à rechercher dans le lien familial qui unit son épouse à l’écrivain Claude Aveline (Paris, 1901-1992).
Comment les artistes donnent-ils à voir le monde arabe ? C’est précisément à cette question que la collection Lemand tente de répondre.
Eric Delpont
Dans les salles du musée transparaît la volonté de représenter l’ensemble de la création dans le Monde arabe – c’est d’ailleurs l’une des missions de l’IMA. Et la nécessité de connaître son histoire pour parvenir à appréhender les œuvres modernes et contemporaines. Claude et France Lemand partagent-ils cette approche ?
Absolument, et c’est ainsi qu’ils ont construit leur collection. Au XXe siècle, le développement des « beaux-arts » dans le Monde arabe a donné lieu à des expressions, sur des supports et avec des techniques, qui n’y étaient pas en usage jusque-là. Pour les artistes nés, disons, à partir des années 1920, une même question s’est toujours posée : comment vais-je m’exprimer de manière à ce que mon travail soit ressenti et compris par ceux qui le voient dans le pays d’où je viens ?
Comment les artistes donnent-ils à voir le monde arabe ? C’est précisément à cette question que la collection Lemand tente de répondre.
Le fonds Lemand a aussi un pôle français, ou plus précisément international parisien…C’est vrai : l’histoire de Claude Lemand fait qu’il entretient un lien particulier avec la France, et qu’il s’est reconnu dans le travail d’artistes émigrés, venus, de façon permanente ou ponctuelle, travailler en France ou en Europe. Ce qui ne l’empêche pas de s’interroger sur tout ce qui touche au Monde arabe…
Le fonds Lemand est riche d’œuvres très diverses. Mais on le sent animé par ce regard particulier que porte le collectionneur pour s’être trouvé lui-même avec un pied dans chaque monde. Voilà ce qui l’interpelle chez certains artistes issus du Monde arabe, mais aussi d’Extrême-Orient, des Amériques, d’Europe et d’Afrique… tous ayant pour point commun d’avoir élu Paris comme lieu par excellence de la liberté d’expression.