Le pays du cèdre sur les rivages de la Méditerranée
La situation et la nature du pays expliquent en partie son histoire et celle des hommes qui le peuplent.
Les fossiles du Liban, mémoire des Temps géologiques, sont révélateurs de l’ancienneté de cette terre.
Situé à la croisée de trois continents, l’Asie, l’Afrique et l’Europe, le Liban est un pays du Proche-Orient d’une superficie restreinte mais d’une grande diversité ; il est constitué d’une mosaïque de biotopes et de milieux naturels, dominés par le climat méditerranéen.
L’étroite plaine côtière sert d’ancrage aux cités portuaires tournées vers la Méditerranée, jalons entre l’Orient et l’Occident, entre les régions méridionales et septentrionales. La Mer offre aux hommes des horizons où naviguer.
La Méditerranée fait don aux gens de Sidon et de Tyr de la pourpre, matière tinctoriale extraite du murex, convoitée par les rois, les empereurs et les dieux.
Les Monts Liban, lieu de refuge et de recueillement, constituent la terre sacrée des cèdres millénaires, ces " monuments naturels les plus célèbres de l’univers " ainsi que les décrivit Lamartine au retour de son voyage en Orient. Ces arbres ont séduit les nombreux voyageurs qui ont visité la région aux XVIIIe et XIXe siècles.
C’est au crépuscule du siècle des Lumières que le dessinateur Louis-François Cassas découvre le Liban, l’intérêt de ses sites archéologiques, le charme de ses paysages, qu’il immortalise par ses gravures et aquarelles.
Le bois du cèdre, apprécié pour ses qualités exceptionnelles et les senteurs qu’il exhale, est recherché dès la plus haute Antiquité par les pharaons d’Egypte, les souverains proche-orientaux, les empereurs romains...
Le papyrus de Ouenamon, daté du XIe siècle av. J.-C., est une parfaite illustration des échanges entre le Liban et l’Egypte dont le cèdre se trouve être l’élément central. Il narre le voyage d’un Egyptien, Ouenamon, chargé par le grand prêtre du dieu Amon de Thèbes, de se procurer ce bois réputé imputrescible pour la barque sacrée de la divinité.
Autre archive millénaire, la Bible nous rapporte qu’Hirom, roi de Tyr, fournit à Salomon le bois de cèdre nécessaire à la construction du temple de Jérusalem. Hirom accède ainsi à la requête de Salomon : " Je satisferai tout ton désir en bois de cèdre et en bois de genévrier. Mes serviteurs les descendront du Liban à la mer..." (1 Rois 5, 22-23).
La relance de la recherche archéologique
Depuis la fin de la guerre, qui avait suspendu tous les projets d’investigation sur le terrain pendant presque vingt ans, la restructuration de la Direction générale des Antiquités a permis de renouer avec la recherche archéologique.
Les interventions sur le terrain sont de natures diverses :
- fouilles de sauvetage ;
- fouilles programmées sur plusieurs années avec des équipes libanaises et étrangères ;
- prospections archéologiques.
La reconstruction du centre-ville de Beyrouth a conduit à la réalisation d’une fouille urbaine d’une ampleur inégalée dans aucune autre cité du globe.
Des équipes internationales ont dégagé environ 15 hectares, révélant les vestiges de la ville, depuis le IIIe millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque ottomane. Sur le tell ancien a été mis au jour une entrée monumentale de la cité du IIe millénaire av. J.-C. ; un glacis protégeant la Beyrouth phénicienne sur presque 260 mètres de longueur ; plus loin, un quartier d’habitation d’époque perse et un autre daté de la période hellénistique et même un " souk " byzantin...
L’activité archéologique ne se limite cependant pas à la capitale. La recherche se porte vers le Nord, sur le tell d’Arqa, métropole du Akkar à l’âge du Bronze, vers le Sud, où un cimetière phénicien vient d’être découvert à Tyr, ou encore dans la plaine de la Beqaa, à Baalbek et Kamid el-Loz.
Les objets recueillis permettent d’approfondir notre connaissance de l’Histoire du pays. Le Liban offre pour la première fois au public européen ces objets pour la plupart inédits.
Les premiers pas de l’aventure humaine au Liban
Les origines remontent au Paléolithique inférieur ancien. La première occupation humaine du Liban est représentée par quelques silex taillés, d’environ un million d’années, trouvés à Borj Qinnarit.
C’est au travers de l’industrie lithique, qui ne cesse de se diversifier par le recours à des techniques de taille de plus en plus élaborées, que l’on suit l’évolution culturelle des populations de chasseurs-cueilleurs qui occupent alors la région : des premiers bifaces de Joub Jannine, datés du Paléolithique inférieur moyen, il y a 700.000 ans, aux microlithes de formes géométriques des " Sables de Beyrouth ", vers 12.000 av. J.-C.
Ce sont également les " Sables de Beyrouth ", mais aussi le site de Laboué dans la Beqaa, qui nous révèlent, au Néolithique, vers 7500 av. J.-C., les débuts d’une économie agro-pastorale.
Le premier village de Byblos est fondé vers 7000 av. J.-C. Son ancienneté et la continuité de son occupation jusqu’à nos jours font de ce site, fouillé pendant un demi-siècle, l’une des références majeures de l’Histoire du Liban. La céramique, qui est la grande découverte du Néolithique, est l’un des fils conducteurs qui permet de suivre l’histoire du village pendant toute la durée de cette période.
Dans la phase finale du Néolithique se développe, dans l’industrie du silex, tout un outillage spécialisé dans le travail du bois. Cela fonde dans la préhistoire récente la furure notoriété des menuisiers de Byblos, qui, au contact direct des forêts du Liban, fourniront jusqu’à l’Egypte le bois des constructions et des navires.
La préhistoire libanaise va se clôt avec l’ " Enéolithique " de Byblos. Byblos n’est encore qu’un gros village, dont le caractère exceptionnel est révélé par sa nécropole de plus de 2000 tombes en jarres qui ont livré les premiers objets de métal : poignards de cuivre ou objets de parure.
Du village à la cité-état, l’Age du Bronze
La période de l’Age du Bronze s’étend de la fin du IVe millénaire av. J.-C. aux environs de 1200 av. J.-C. On assiste alors au passage de la société villageoise à celle des cités-états.
Les villes apparaissent, les échanges se développent et l’écrit marque désormais de son empreinte la mémoire des hommes. Le Liban entre dans l’histoire : apparaissent alors les premières mentions de ses villes, de leurs princes et des échanges commerciaux et diplomatiques.
Byblos, la ville la plus vieille du monde selon Philon de Byblos, est le site qui témoigne le mieux de l’urbanisation de la région, dès le début du IIIe millénaire av. J.-C. La cité portuaire est entourée d’un rempart ; les constructions se pressent densément autour d’un réseau de rues et de sentes ; au centre, autour de la source, se trouvent les principaux temples de la cité dont celui de la Dame de Byblos, remarquable par sa durée. Dès la première moitié du IIIe millénaire av. J.-C., les pharaons Khasekhemoui, Chéops, Pépi lui adressèrent des dons de vaisselles précieuses.
Mais ce sont surtout les trésors découverts dans la nécropole royale et les temples de la cité du début du IIe millénaire av. J.-C. qui constituent l’un des temps forts de l’exposition.
Une sélection provenant des tombes des rois de Byblos, Abi-Shemou et Yapi-Shemou-Abi : vaisselle d’or et d’argent, parures en or incrustées de pierres semi-précieuses, miroirs, armes d’apparat, telle la célèbre harpé qui nous révèle la filiation des deux rois... Beaucoup de ces pièces dénotent une forte influence égyptienne; certaines mêmes viennent directement d’Egypte, cadeaux des pharaons Amenemhat III et IV.
Les dépôts d’offrandes du Temple aux obélisques ne sont pas moins riches : figurines de faïence, haches fenestrées en or et en argent, poignards d’apparat, bijoux... accompagnent le cortège impressionnant des centaines de figurines de divinités en bronze, parfois plaquées d’or.
Une découverte de dernière minute (août 98) sur le site de Arqa (plaine de Akkar) vient compléter ce panorama du début du IIe millénaire. Il s’agit d’une tombe de guerrier inhumé avec toute une panoplie d’objets : armes (hâche, pointes de flèches) et céramiques. Au Bronze Récent (à partir de 1550 av. J.-C.), la région se trouve englobée dans l’empire asiatique de l’Egypte, des micro-états régionaux et les cités les plus importantes dépendent alors du jeu des grandes puissances à l’échelle du Proche-Orient.
Les archives retrouvées dans la capitale égyptienne d’El Amarna ou encore dans la cité d’Ougarit en Syrie restituent la vie de ces cités cananéennes.
La politique expansionniste de l’Egypte de la XIXe dynastie est matérialisée par une série de stèles commémoratives érigées par les pharaons à Tyr ou encore gravées sur le promontoire du nahr al-Kalb.
Kamid el-Loz, au c¦ur de la Beqaa, est le seul site qui soit bien connu pour cette période. Les fouilles y ont mis au jour un palais et un sanctuaire dont une partie du matériel est composé d’objets précieux reflètant le luxe dans lequel vivaient les élites de ces petites cités au cours de la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C.
Parmi ces trésors, de délicates sculptures sur ivoire d’hippopotame : une reine ou déesse assise, un joueur de lyre, une sauterelle au repos, des boîtes à fard en forme de canard... À ces trouvailles qui comptent parmi les plus spectaculaires de l’art de l’ivoirerie levantin, il convient d’adjoindre un fragile flacon de verre polychrome, qui constitue l’une des premières attestations d’un matériau dont la maîtrise fera beaucoup pour la gloire de la Phénicie à l’époque romaine.
L’Age du Fer ou l’âge d’or des cités phéniciennes
L’invasion des Peuples de la mer vers 1200 av. J.-C. marque la fin de l’Age du Bronze et le début de l’Age du Fer au cours duquel se développe la civilisation phénicienne.
On réserve habituellement le terme de "phénicien" à cette époque, qui est celle où apparaissent des inscriptions en écriture alphabétique et en langue phénicienne (voir encadré sur l’alphabet).
Le territoire du Liban est morcelé en cités-états, entités autonomes qui contrôlent chacune un territoire réduit. Les habitants de ce pays de Canaan dont nous parle la Bible, se déclarent eux-mêmes Tyriens, Sidoniens ou Giblites, mais jamais Phéniciens. Ce nom leur a été donné par les Grecs et dérive du mot phoinix, qui désigne tant un palmier que la couleur rouge.
L’expansion phénicienne en Méditerranée commence à la fin du IIe millénaire av. J.-C. Les marins phéniciens, expérimentés, profitent alors du " vide " crée en Méditerranée à la suite notamment de l’effondrement de la thalassocratie mycénienne, pour s’aventurer en Méditerranée occidentale. La légende situe leurs premières expéditions dans les régions les plus lointaines : fondations de Cadix en 1110 et d’Utique en 1101, installées de part et d’autre du détroit de Gibraltar.
Une sélection d’¦uvres ponctuant l’aventure des Phéniciens en Méditerranée, depuis Chypre jusqu’à l’Espagne, depuis Tyr jusqu’à Carthage, sont présentées à l’exposition : une superbe figurine en bronze provenant d’El Carambolo (en Espagne) et qui représente très vraisemblablement la déesse Astarté, des stèles votives de Carthage, décorées d’un gourvernail ou du signe de la déesse Tanit...
Carthage est la " ville neuve ", fondée en 814 av. J.-C. selon la légende, sur les rivages de l’Afrique du Nord, par Elissa-Didon, princesse de Tyr. Des fouilles récentes semblent aujourd’hui confirmer cette tradition.
La cité-mère, Tyr, est située sous la ville moderne et n’a pu faire l’objet que de sondages très limités. Ses nombreuses mentions dans la Bible et chez les auteurs anciens la font toutefois revivre. La cité est riche et prestigieuse, " parfaite en beauté " selon Ezéchiel. Ses marchands sont actifs, ses vaisseaux sillonnent la Méditerranée : " Toi qui habites les avenues des mers, toi qui fais du commerce avec les peuples, avec les îles nombreuses (...). Tes rameurs t’ont menée sur les grandes eaux, le vent d’Orient t’a brisée au c¦ur des mers " (Ezéchiel, 27).
La récente découverte d’une nécropole datée des Xe-VIIe siècles av. J.-C. a livré de précieuses informations sur les pratiques funéraires phéniciennes. Tyr étant à l’époque une île, le cimetière se trouvait sur le continent. Les Tyriens incinéraient leurs morts ; les restes, déposés dans des urnes, étaient accompagnés d’offrandes. L’une de ces sépultures a livré un riche matériel dont un superbe masque masculin en terre cuite daté du VIIIe siècle av. J.-C.
Après avoir connu les dominations assyrienne puis babylonienne, la Phénicie est intégrée au milieu du VIe siècle av. J.-C. dans l’empire des Perses, nouveaux maîtres de l’Orient.
Les fouilles du centre-ville de Beyrouth viennent de mettre au jour un quartier d’habitation de l’époque perse. Cependant la cité la plus importante de l’époque est certainement Sidon, où l’empereur possédait sans doute un domaine.
Les riches nécropoles de la ville ont révélé quantité de monuments et d’objets prestigieux, depuis le milieu du siècle dernier : la nécropole royale d’Ayaa, la nécropole d’Ayn el-Helwé - qui a livré le plus important ensemble connu de sarcophages anthropoïdes, constituant aujourd’hui l’un des fleurons du musée national de Beyrouth ‹ et enfin la nécropole de Magharat Tabloun, où fut découvert, en 1855, le sarcophage d’Echmounazor, conservé au musée du Louvre.
Deux sarcophages anthropoïdes, sculptés dans du marbre de Paros, mêlant influences égyptiennes et grecques, sont présentés à Paris. Ils sont accompagnés par quelques uns des plus somptueux bijoux découverts dans les années soixante à Magharat Tabloun : diadème en or inscrusté de pierres semi-précieuses, bracelet d’argent orné d’une intaille décorée d’une scène d’adoration...
Dans le domaine religieux, témoignage d’une identité culturelle spécifique, chaque communauté urbaine a son propre panthéon dominé par divinités locales : Baal à Byblos, Héraclès-Milqart à Tyr, Echmoun à Sidon... Cette différenciation régionale n’exclut pas une matrice commune : Astarté représente la déesse par excellence, vénérée dans toutes les villes de Phénicie. Ainsi, sur le site de Bostan ech-Cheikh, à quelques kilomètres au nord de Sidon, ont été mis au jour les vestiges d’un sanctuaire dédié à celle-ci et à Echmoun.
Parmi les découvertes présentées à l’exposition figure un imposant chapiteau en marbre décoré de protomés de taureau, sculpture alliant tradition iranienne et influence grecque, cette dernière étant également sensible dans une série de statues d’enfant en marbre. L’une d’elle représente Baalshillem, un jeune prince sidonien qui a vécu vers 420 av. J.-C. Les riches Sidoniens offraient, en effet, au dieu guérisseur Echmoun des statues en marbre représentant leur progéniture afin de placer celle-ci sous sa protection.
L’alphabet phénicien
L’alphabet, invention géniale qui a permis d’abolir les frontières, vit le jour au IIe millénaire av. J.-C. dans la région du Levant. L’alphabet phénicien, sans être le plus ancien, possède une dimension universelle : il est à l’origine de tous les alphabets actuellement en usage dans le monde.
Les plus anciennes inscriptions en langue phénicienne et en écriture alphabétique linéraire retrouvées au Liban datent de la fin du IIe millénaire av. J.-C. Ce sont de courts textes gravés sur des pointes de flèches en bronze qui font mention du nom de leur propriétaire, tel ce Sidonien dénommé Gerbaal.
L’inscription à la mémoire d’Ahiram, roi de Byblos, gravée vers l’an 1000 par son fils sur un sarcophage richement décoré, est la première véritable inscription phénicienne.
L’écriture sert les échanges mais elle a aussi valeur de mémoire immortelle comme le rappelle l’inscription du sarcophage d’Ahiram, lequel est venu, le temps d’un automne et d’un hiver, s’ancrer sur les rives de la Seine, avant de repartir au printemps, vers le pays du cèdre : " Sarcophage qu’a fait Ittobaal, fils d’Ahiram, roi de Gouba (Byblos), pour son père Ahiram, lorsqu’il l’a placé pour l’éternité. Et si un roi parmi les rois, ou un gouverneur parmi les gouverneurs ou un chef d’armée monte à Goubal et ouvre ce sarcophage-ci, que le sceptre de son pouvoir soit flétri, que son trône royal soit renversé, et que la paix s’enfuie de Goubal. Et, quant à lui, que son inscription soit effacée à la face de Goubal ".
Le texte utilise 19 des 22 lettres de l’alphabet phénicien ; ces caractères ne notent que les consonnes comme c’est le cas pour toutes les langues sémitiques et notamment pour l’arabe. L’alphabet phénicien va rapidement se diffuser dans toutes les régions du Levant où il est utilisé pour écrire l’araméen, l’hébreu et les langues de Transjordanie (moabite, ammonite). Il est parallèlement adopté par les Grecs qui le modifient en dotant certaines lettres de valeurs vocaliques.
Cet emprunt trouve sa parfaite expression dans les mythes grecs au travers de l’histoire d’Europe et Kadmos, enfants d’Agénor, roi de Tyr. Kadmos, parti à la recherche de sa s¦ur enlevée par Zeus métamorphosé en taureau blanc comme neige, enseigna aux Grecs les lettres phéniciennes qu’ils appelleront " kadméennes ".
Les inscriptions phéniciennes sont attestées de l’Anatolie jusqu’en Méditerranée occidentale. La plus célèbre est certainement la dédicace bilingue de deux frères originaires de Tyr gravée sur le cippe de Malte qui permit le déchiffrement du phénicien dès le milieu du XVIIIe siècle.
La Phénicie hellénisée et romaine
Si les échanges avec la Grèce ne cessent de se multiplier au cours de la période perse, c’est avec la conquête d’Alexandre, en 333 av. J.-C., que la Phénicie devient une province du monde hellénistique et ce, jusqu’à l’annexion par Pompée en 64 av. J.-C.
La Phénicie subit d’importantes transformations au cours de cette période. Dès la première moitié du IIIe siècle av. J.-C., le passage des cités-royaumes phéniciennes en cités grecques est achevé.
L’hellénisation des notables, qui adoptent la langue et portent des noms grecs, est remarquable. Ainsi, une stèle funéraire peinte, récemment découverte, révèle l’image d’une Sidonienne, dénommée Robia.
Elle se traduit également par la participation d’habitants de Tyr et de Sidon aux grands concours panhelléniques tels ceux de Delphes et d’Olympie. À Némée, vers 200, un Sidonien, Diotimos, remporte une course de chars.
Les villes phéniciennes fournissent à la science et à la littérature grecques quelques uns de leurs plus brillants représentants : Antipater de Sidon, Apollonios de Tyr...
Le grec n’était pas seul parlé et écrit en Phénicie. Les légendes des monnaies de Beyrouth sont en grec et en phénicien. Les fouilles du centre-ville ont permis la découverte d’une inscription phénicienne, gravée sur un vase en marbre, dont le texte est une dédicace à Astarté. Il indique l’existence à Beyrouth, à l’époque hellénistique, d’un sanctuaire dédié à la déesse principale de la ville.
Il semblerait cependant que la diffusion de l’hellénisme se soit limitée aux villes. Ainsi, à 15 km de Tyr, les inscriptions découvertes sur le site d’Oumm al-’Amed sont en phénicien. La stèle funéraire de Baalshamar " chef des portiers " est présente dans l’exposition au côté d’une dédicace à Milk’ashtart, le grand dieu local.
Les marchands phéniciens continuent de parcourir la Méditerranée pour vendre et acheter. On retrouve des Phéniciens dans tous les ports importants comme à Rhodes, au Pirée et surtout à Délos. Les fouilles d’un quartier d’habitation hellénistique du centre-ville de Beyrouth ont livré de nombreux bols en céramique, à décor moulé en relief, qui sont probablement des importations de cette dernière cité.
De même, fidèles à la tradition ornementale grecque du IIe siècle av. J.-C., dont de beaux témoignanges proviennent de Délos, les intérieurs des maisons de Beyrouth étaient souvent décorés de peintures murales. Les vestiges abondants permettent notamment de restituer des décors architectoniques.
L’influence de l’Egée est également très présente dans d’autres ¦uvres découvertes à Beyrouth : figurine de Tanagra, statuette représentant Aphrodite... mais il est difficile de trancher entre atelier local ou importations.
Lors de son intégration, en 64 av. J.-C., dans l’empire romain, la Phénicie est administrée depuis Antioche. En 194 ap. J.-C., Septime Sévère réorganise l’empire et crée une nouvelle province : la Syrie-Phénicie dont Tyr est la capitale. L’un des plus beaux portraits de cet empereur découvert au cours des fouilles menées dans la cité, figure dans l’exposition.
Une partie des installations urbaines de la Tyr impériale sont encore visibles aujourd’hui : aqueduc, rues à portiques, thermes, boutiques, sanctuaires et le cirque, le plus grand actuellement connu de tout le monde antique.
De l’une des nécropoles de la cité provient probablement un panneau peint représentant, dans une riche polychromie, un personnage portant une hotte, spécialement restauré pour sa présentation à Paris.
Byblos doit le plus clair de son prestige au fait que le sanctuaire d’Adonis à Afqa se trouve situé sur son territoire.
Dans l’une des villas de la cité a été dégagée une mosaïque dont l’emblema illustre l’enlèvement de la belle Europe.
Beyrouth devient colonie romaine sous le nom de colonia Iulia Augusta Felix Berytus. Elle se présente alors comme un ilôt de latinité dans un monde grec et sémitique. Le cadre monumental de la cité rappelle celui des cités d’Occident. C’est alors que Béryte abrite une célèbre Ecole de Droit, reconnue pour dispenser la meilleure formation juridique de l’Empire à partir de la fin du IIIe siècle av. J.-C.
La recherche archéologique récente n’a pu la retrouver mais a cependant mis au jour des monument importants : basilique, forum, thermes, hippodrome... et permet de mieux comprendre l’urbanisme de la Béryte romaine avec son port, ses quartiers commerciaux et résidentiels et ses grands axes de circulation, le Cardo et le Decumanus.
Les villes de Phénicie sont également de grands centres de production artisanale qui profitent de l’immensité du marché que leur est offert. Béryte, Sidon et Tyr comptent parmi les villes les plus actives de Méditerranée orientale. Les artisans travaillent la pourpre, le textile, le verre...
Les auteurs classiques (Strabon et Pline l’Ancien) ont conservé l’image des verriers de Sidon dont les fragiles créations étaient réputées dans l’ensemble du monde antique. Leur nom est encore aujourd’hui gravé dans cette matière noble et translucide : Artas, Ennion, Ariston... qui diffusèrent la technique du verre soufflé, née sur les côtes du Levant vers le milieu du Ier siècle av. J.-C.
Le Liban se couvre alors de nombreux temples ruraux au nombre desquels figure le sanctuaire de Niha dans la Beqaa dont les ruines se dressent encore aujourd’hui. Un exceptionnelle maquette de l’adyton du temple, illustrant le travail des architectes de l’Antiquité, est présentée dans l’exposition.
Mais le plus prestigieux des sanctuaires de la Phénicie libanaise est incontestablement celui d’Héliopolis-Baalbek. On en ignore l’origine mais il existe sans doute bien avant la conquête macédonienne. C’est à l’époque d’Auguste que semblent avoir commencé les travaux cyclopéens d’aménagement du monument dont on peut voir les ruines impressionnantes aujourd’hui.
Le sanctuaire de Jupiter Héliopolitain, reposant sur un podium construit avec des blocs gigantesques dont certains pèsent 750 tonnes, est l’un des temples les plus spectaculaires de toute la Syrie romaine. Il était entouré de 54 colonnes hautes de vingt mètres dont six, encore debout, donnent la mesure de l’ensemble.
D’autres temples sont alors édifiés tel celui dit de Bacchus dont le décor sculpté mêle raffinement et surcharge ornementale. Ce style " baroque " est également sensible dans un superbe chapiteau de Bostan el-Khan décoré d’une tête bacchique qui figure parmi les oeuvres présentées.
La popularité du culte du Jupiter Héliopolitain justifie sans aucun doute de tels efforts. En effet, le baal indigène, un Hadad, maître de la foudre et de la pluie, dont l’image traditionnelle est fournie par plusieurs statuettes, était assimilé à Jupiter. Ainsi, le célèbre " bronze Sursock " du musée du Louvre, montre le dieu emmailloté dans une robe-gaine très serrée et coiffé d’un haut chapeau évasé vers le haut (le polos). Son culte se répand rapidement chez les soldats romains qui en font, avec Jupiter Dolichenus et Mithra, l’un de leurs dieux favoris.
Dans la Beqaa, Héliopolis demeure l’un des bastions du paganisme jusqu’au VIe siècle ap. J.-C. face au christianisme dont l’implantation sur la côte est fort ancienne.
La Phénicie chrétienne
Du règne de Constantin à celui de Théodose, le IVe siècle ap. J.-C. fait entrer l’Orient romain dans une nouvelle période historique, celle de la domination byzantine qui se perpétue en Phénicie jusqu’à la conquête musulmane. Le christianisme conquiert alors une position officielle et exclusive.
De région périphérique du monde romain, la Phénicie se retrouve au c¦ur de l’Empire chrétien d’Orient. Proche des lieux saints de Palestine mais encore d’Antioche et d’Alexandrie, les deux centres de réflexion christologique et d’exégèse, elle occupe une position privilégiée au carrefour des idées religieuses et sur la route des pélerinages.
La Phénicie byzantine comporte deux provinces où se répartit inégalement l’actuel territoire libanais : la Phénicie maritime dont Tyr est la capitale et la métropole religieuse et, d’autre part, la Phénicie libanaise qui concerne surtout l’espace syrien et doit son nom au Mont Liban qui se trouve sur son territoire.
Nous apprenons par Eusèbe de Césarée que l’évêque Paulin fait élever, à Tyr, dès le début du IVe siècle, une vaste basilique, sans doute la première église cathédrale consacrée après 313.
Des vestiges paléochrétiens dont quelques éléments du décor architectural sont présentés dans l’exposition, ont été récemment mis au jour à Tyr. Ils sont postérieurs à l’édifice de Paulin mais confirment la position de la cité comme métropole ecclésiastique où durent s’élaborer très tôt les modèles architecturaux et liturgiques qui ont déterminé aux Ve-VIIe siècles la profusion d’églises à plan basilical dont la construction est attestée au sud de Béryte.
De Beyrouth même provient une plaque de chancel en marbre d’où se dégage en ronde-bosse une figure de bouquetin. La qualité plastique de l’¦uvre suggère une provenance prestigieuse, peut-être la cathédrale de l’Anastasis.
Ernest Renan, lors de sa Mission de Phénicie en 1861, dégagea à Qabr Hirom, dans les environs de Tyr, une église dédiée à Saint Christophe. L’église, dans son ensemble, sauf l’abside, était ornée d’un pavement de mosaïque daté de la fin du VIe siècle particulièrement bien conservé. Ce " tapis " est l’un des plus soignés et des plus cohérents connus dans la région libanaise. Le choix des thèmes figurés le rattache à une série bien fournie de mosaïques de Phénicie, de Palestine et de Transjordanie sur lesquelles des scènes de la vie domestique, de chasse, des travaux des champs figurent à côté de représentations des mois, des saisons.
Cet ensemble conservé aujourd’hui au musée du Louvre est en cours de restauration. Un panneau récemment traité permet d’apprécier cet aspect des productions artistiques qui illustre le mieux la période byzantine.
Le visiteur peut également méditer le texte inscrit dans la tabula ansata d’une mosaïque récemment découverte dans une maison byzantine du centre-ville de Beyrouth : " L’envie est le plus grand mal ; elle possède cependant quelque beauté car elle ronge les yeux et le c¦ur des envieux ". Cette demeure est implantée dans le quartier du marché byzantin nouvellement dégagé.
Enfin, un trésor d’orfèvrerie constitué de bracelets, de boucles d’oreilles et de pendentifs incrustés de pierres semi-précieuses témoigne des arts de luxe et de la richesse de la Béryte byzantine.
Partout se laisse cependant deviner le petit peuple actif et prospère de tous les métiers. De nombreuses inscriptions de la nécropole de Tyr, de haute époque byzantine, font revivre les métiers de la pourpre, grande spécialité de la métropole, tel le nom de Zoïle, fils d’Ammonios, pêcheur de murex, ce coquillage dont une glande sécrète la précieuse substance tinctoriale.
Le Liban médiéval, de la conquête omeyyade à l’époque mamelouke
La bataille du Yarmouk en 636 annonce l’entrée de la région dans l’ère arabe et le monde musulman. La première dynastie de l’Islam, celle des Omeyyades a laissé de nombreuses constructions encore visibles aujourd’hui, telle la célèbre mosquée de Baalbek en cours de restauration ou encore la ville d’ Anjar localisée dans la Beqaa.
Construite par le calife al-Wâlid I au début du VIIIe siècle ap. J.-C., la cité d’Anjar est un grand centre commercial au carrefour des routes menant de Homs à Tibériade et de Beyrouth à Baalbeck, puis Damas, capitale de l’empire omeyyade.
Sur la côte, à Beyrouth, des recherches récentes attestent de la continuation d’une intense activité artisanale dans la cité. Ainsi, sous la place des Martyrs, au c¦ur de la cité, les fouilles ont révélé l’atelier d’un verrier d’époque omeyyade.
La région tombe ensuite successivement sous la domination des Toulounides (868-905), des Ikhchidites (935-969), puis des Fatimides (969-1171) sous lesquels reprennent les conflits avec Byzance.
La ville de Tripoli devient sous les Fatimides un centre culturel d’une grande réputation. Elle possède une bibliothèque, riche de plusieurs milliers d’ouvrages, malheureusement endommagée lors de l’attaque croisée.
Les fouilles archéologiques menées dans l’imposante citadelle ont révélé des vestiges datés de la période fatimide. D’un cimetière musulman du XIe siècle provient notamment une très belle inscription sculptée dans le marbre. Le texte, d’une très élégante écriture en caractères coufiques fleuris est constitué de versets coraniques. D’autres oeuvres témoignent de l’activité de villes du Sud, Sidon et Tyr. Cette dernière acquiert sous les Fatimides une relative indépendance.
L’arrivée sur le devant de la scène des Turcs Seldjoukides au milieu du XIe siècle modifie considérablement la carte géo-politique.
L’appel à la croisade lancé par Urbain II en 1095 au concile de Clermont est le premier d’une suite d’événements qui mèneront à la fondation des États latins d’Orient. Trois villes du Liban : Tyr, Beyrouth et Tripoli jouent un rôle capital dans les Etats créés par les Francs, plus particulièrement le Comté de Tripoli et le Royaume de Jérusalem.
Le Liban se couvre de monuments, de forteresses - tels les châteaux de Byblos et de Sidon -, d’églises et de couvents - tel le célèbre monastère cistercien de Balamand construit au cours des XIIe-XIIIe siècles.
La ville de Tyr est alors le siège d’un archevéché rattaché au patriarchat d’Antioche et la cathédrale, dont des monnaies nous conservent l’image, sert de cadre à plusieurs couronnements royaux après la perte de Jérusalem. Une vingtaine d’archevêques se sont succédés sur le siège archiépiscopal de Tyr parmi lesquels Guillaume de Tyr, chancelier du roi de Jérusalem Baudouin IV. Il a notamment laissé une Histoire de Jérusalem, chronique des Croisades qui est présentée dans l’exposition.
À partir de 1260, les Mamelouks entreprennent de parfaire leur autorité sur tout le Proche-Orient musulman. Baïbars et Qalaoun reprennent une à une les places fortes du littoral. Du milieu du XIIIe siècle jusqu’au début du XVIe siècle, ils vont régner sur l’Egypte et la Syrie.
Le Liban, alors partagé entre deux provinces, celle de Damas et celle de Tripoli, connaît alors une stabilité politique qui se révèle propice au développement des activités commerciales. Avec l’accord des Mamelouks, les marchands pisans, vénitiens, génois, provençaux et catalans reviennent fréquenter le port de Beyrouth, où il obtiennent même l’autorisation de construire des entrepôts.
Un ouvrage exceptionnel de la Bibliothèque Nationale de France est ouvert au regard du public. Ce manuscrit est l’unique exemplaire connu qui ait été conservé de l’Histoire de Beyrouth de Sâlih ibn Yahyâ ibn Buhtur, émir de la famille druze des Banû Buhtur, qui régna sur la région située entre Beyrouth et Saïda, du XIe siècle à la fin du XVe siècle. Cet ouvrage est le seul qui, du point de vue d’un chef local et non du point de vue du gouvernement central, permet de connaître l’histoire d’une région rurale du Liban, les débuts de l’émirat druze, et, par les documents qu’il reproduit, décrets et correspondances officielles, livre de précieuses informations sur les relations de celui-ci avec l’administration ayyoubide et mamelouke.
Si les origines de Tripoli, capitale du Liban-Nord, s’enracinent dans un passé fort lointain, la ville d’aujourd’hui livre au regard ses monuments d’époque islamique. Tombée en 1289 ap. J.-C. entre les mains du sultan Qalaoun, ce dernier fit raser la vieille ville et construire une nouvelle cité au pied du Chateau Saint-Gilles. Cette " nouvelle Tripoli " reste le seul témoignage d’une ville islamique des XIVe et XVe siècles, avec de nombreux monuments qui illustrent bien l’architecture de cette période : la grande mosquée, la madrassa al-Burtasiyat, les khans...
Deux manuscrits arabes copiés à Tripoli au début du XIVe siècle (conservés aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France) illustrent l’importance culturelle de la ville d’alors.
Le Musée national de Beyrouth possède un ensemble unique de vêtements anciens conservés de manière exceptionnelle. Mis au jour dans la grotte de Hadath (Liban-Nord), ils datent de la période mamelouke (fin du XIIIe siècle). Les robes, d’adultes et d’enfants, sont taillées dans une toile de coton écrue - probablement une cotonnade fabriquée à Baalbeck et extrêment populaire au Moyen-Age - et réhaussée d’un riche décor brodé en fils de soie. Témoignages uniques sur le vêtement populaire de l’époque, ces tissus âgés de quelque 700 ans constituent l’un des temps forts de l’exposition.
Le Liban des Emirs
Entre le XVe siècle et le XIXe siècle, des hommes clairvoyants et résolus, héritiers d’une longue traditon d’autonomie, entreprennent d’unir leur destin dans ce petit lopin de terre et d’en faire un foyer pour les hommes avides de liberté et de connaissance.
Princes druzes et moqadams maronites s’allient pour ébranler la lourde domination Mamelouk avec l’aide des Ottomans.
L’émancipation venait de commencer. Les Libanais, toutes communautés confondues, jetaient ainsi les bases du Liban moderne, indépendant et arabe.
Avides de connaissances et de savoir, les princes de la montagne et leurs sujets s’ouvrent alors à l’Europe et à l’Orient.
De Fakhreddine II Maan à Béchir II Chéhab, le premier souci des gouvernants est de garder le Liban à l’abri des conflits régionaux et internationaux. Ils ne réussissent pas souvent dans leurs efforts militaires, mais les relations diplomatiques, politiques et culturelles qu’ils nouent avec l’Orient et l’Occident donnent leurs fruits à partir du XVIIe siècle.
Les premières imprimeries d’Orient sont créées au Liban. Les premiers livres imprimés commencent à circuler dans la région. Les prémices de la Renaissance arabe se font jour...
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