Abderrachid Abdessemed donne un cours d'arabe au Centre de langue de l'Institut du monde arabe, 19 octobre 2022.
D.R. / IMAAbderrachid Abdessemed est professeur d’arabe depuis plus de vingt ans au sein du Centre de langue de l’IMA. Cet originaire de Batna, en Algérie, nous raconte son rapport à la langue arabe, dans sa diversité – arabe standard et dialectal maghrébin –, qu’il aime tant enseigner. Abderrachid est d’ailleurs le concepteur-rédacteur de plusieurs manuels d’initiation à la fois à l’arabe standard et au dialectal maghrébin.
C’est la curiosité et le besoin humain et relationnel qui amène ici les élèves : ils préparent un voyage, ils veulent parler la langue maternelle de leur partenaire… En tant que professeur, on a tout de suite le sentiment qu’on effectue un travail utile, immédiat.
Je fais partie d’une génération particulière, scolarisée en Algérie au sortir de l’indépendance, qui se répartissait entre les « francophones » – comprendre : ceux qui fréquentaient les écoles dispensant un enseignement en français, ce qui était mon cas – et les « arabophones » ; il y avait très peu d’écoles arabophones en Algérie, à l’époque. Puis l’enseignement de l’arabe a été introduit chez les « francophones » – ce qui nous a valu le surnom de « bilingues » ! Et en effet, du primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, j’ai obtenu tous mes diplômes dans les deux langues.
Mais la langue arabe, je suis tombé dedans à la naissance, comme Obélix dans sa marmite ! Je suis né dans une famille très nombreuse, dont une moitié était « francophone », et l’autre « arabophone ». J’ai été élevé entre les deux cultures, sans que l’une ne l’emporte vraiment sur l’autre. Je lisais des livres en arabe et des livres en français…
Quand j’ai obtenu mon bac, en Algérie, il y avait très peu de professeurs, et surtout très peu qui enseignaient l’arabe. J’ai poursuivi une formation de professeur en langue et en littérature arabes auprès de l’Institut de formation des professeurs de Constantine (l’équivalent de l’École normale) et je suis devenu enseignant.
Ma famille a aussi joué un grand rôle. Je dois avoir l’enseignement dans mes gènes ! Deux de mes grands-parents étaient enseignants, et tous mes frères et sœurs sont passés par l’enseignement à un moment où à un autre. Actuellement, dans la famille, nous sommes encore quatre à être professeurs. Une vraie famille de profs !
Par ailleurs, outre l’arabe, j’enseigne le droit, et j’ai aussi été professeur de sport. Mais c’est avec l’arabe que j’ai débuté dans l’enseignement, alors que j’étais encore, parallèlement, étudiant en droit. Bref, l’apprentissage et l’enseignement sont tous les deux aussi essentiels pour moi.
J’ai travaillé au sein de différentes structures : des lycées publics et privés en Algérie comme en France, des associations, etc., et enfin l’IMA. Mektoub !, le destin, comme on dit. Je fréquentais l’IMA et connaissais des personnes qui y travaillaient. Un jour, le responsable du Centre de langue m’a demandé si je pouvais le dépanner, et remplacer au pied levé un professeur d’arabe. Je suis donc entré à l’IMA par hasard… Mais un bel hasard, et depuis un quart de siècle, je suis resté fidèle au poste !
Je suis tombé sous le charme de l’IMA et du Centre de langue dès le premier cours. Le public y est intéressant, chacun vient pour ses propres raisons, et toujours de bon gré, en dehors de considération de diplômes ou d’études. C’est la curiosité et le besoin humain et relationnel qui amène ici les élèves : ils préparent un voyage, ils veulent parler la langue maternelle de leur partenaire… En tant que professeur, on a tout de suite le sentiment qu’on effectue un travail utile, immédiat. Ce qu’ils apprennent, ici, les gens l’utilisent sur-le-champ.
Toute langue est vivante, flexible. Une langue immuable, c’est un fantasme ! Il faut accepter qu’une langue change, qu’elle vive, que les gens se l’approprient, et s’en réjouir.
Je cherche à en faciliter l’apprentissage, mais aussi à donner à mes étudiants le goût d’apprendre. Cette « mission » se décline de plusieurs façons. J’ai notamment, dans cette optique, conçu et rédigé moi-même plusieurs manuels d’apprentissage.
J’ai vite remarqué que mes étudiants se trouvent face à un dilemme alors qu’ils commencent tout juste à appréhender la langue arabe : faut-il apprendre l’arabe standard, ou le dialectal ? Souvent, après s’être inscrits à des cours d’arabe standard, ils se rendent compte que, une fois sur place, dans les pays arabes, ce n’est pas le plus utile. À l’inverse, s’ils apprennent à parler en dialectal, ils voudraient tout de même pouvoir lire et écrire avec l’alphabet arabe, ou comprendre un discours officiel, par exemple.
Or, selon moi, l’arabe dialectal et l’arabe standard sont les deux faces d’une même pièce… Il me semblait donc plus intuitif d’enseigner les deux, côte à côte.
Pas tant que cela, la différence se fait simplement dans la réalité de chaque langue : le dialectal est parlé, il reflète la vie de tous les jours et des traditions de chaque région. Le dialectal, c’est un miroir des espaces géographiques. Alors que le standard, c’est le registre écrit, officiel, solennel. Il est plus savant, et immuable.
Les deux, pour moi, sont complémentaires, et non pas frontalement différents. On ne peut pas se limiter soit à l’un, soit à l’autre pour comprendre l’arabe. Et cette dualité, c’est ce qui rend la langue vivante.
L’enseignement des dialectes arabes est encore minoritaire, et c’est le cas partout. D’une part, parce que le dialectal n’a pas de base écrite. Il est difficile de le retranscrire ; et enseigner sans support écrit n’est pas évident.
D’autre part, pour des motifs idéologiques. Selon certaines personnes, le dialectal serait une déformation de l’arabe standard, dont il se serait affranchi des règles savantes ; ce serait donc un arabe amoindri, moins pur. Ce courant prône un apprentissage de la langue « telle qu’elle est ». Tel est le cas en France – où, en passant, le problème ne réside pas tant dans le choix entre « dialectal » et « littéral », mais dans l’enseignement de l’arabe comme langue en soi –, mais aussi et surtout dans les pays arabes.
Or, comme je l’ai déjà dit, toute langue est vivante, flexible. Une langue immuable, c’est un fantasme ! Il faut accepter qu’une langue change, qu’elle vive, que les gens se l’approprient, et s’en réjouir.
En effet, et c’est d’ailleurs ainsi que je le présente dans mon manuel. L’arabe dialectal partage une même structure linguistique en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Ce sont plutôt quelques expressions et certains mots du vocabulaire qui diffèrent. C’est pourquoi, dans le manuel, je détaille, en colonnes, les variations du vocabulaire et des expressions entre les trois pays. Mais dans la plupart des cas, les expressions sont les mêmes – parce que les populations sont les mêmes ! Il y a toujours eu, dans cette aire géographique, des connexions, des échanges et des déplacements de populations d’une région à l’autre. C’est un mixage continu. C’est ainsi que, si l’accent change, le fond reste grossièrement similaire.
Je n’évoque pas cette unité de la langue maghrébine par idéologie, mais simplement parce que telle est la réalité. Même si le fond de ma vision du monde est que les frontières ne sont qu’artificielles et que la terre appartient à tous !
Lisez mes manuels !
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