Entretien avec Laurent Gaudé, commissaire invité de l'exposition Couleurs du monde

Au banquet des couleurs

Publié par Brigitte Nérou | Le 25 septembre 2020
Ernest Pignon-Ernest, Elias Sanbar et Laurent Gaudé, vernissage de l'exposition Couleurs du monde, 17.09.2020 © Alice Sidoli / IMA
Ernest Pignon-Ernest, Elias Sanbar et Laurent Gaudé, vernissage de l'exposition « Couleurs du monde », Institut du monde arabe, 17 septembre 2020. Alice Sidoli / IMA

Comment choisir les œuvres d’une exposition d’art plastique quand on est écrivain ? La question s’est posée au romancier, dramaturge et poète Laurent Gaudé, prix Goncourt 2004 pour son roman Le Soleil des Scorta, à qui
 Élias Sanbar et Ernest Pignon-Ernest avaient donné carte blanche pour le 3accrochage de la collection du musée d'Art moderne et contemporain de la Palestine. Le résultat ? « Couleurs du monde », à découvrir du 15 septembre au 20 décembre 2020 à l'IMA.

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S’agissant de la Palestine, ce mot de « couleurs », au pluriel qui plus est, me semblait intéressant. Ce n’est pas celui qui vient spontanément. On est tout de suite envahi par des images de guerre, de souffrance, donc de noir et blanc. Redonner un peu de couleurs, le temps d’une exposition, en tout cas mettre la couleur au premier plan, les couleurs dans toute leur diversité, me semblait un axe possible. 
Qu’est-ce qui vous relie à la Palestine ? La poésie de Mahmoud Darwich ? 

Elle n’est pas sans lien avec l’exposition, effectivement – d’autant que c’est à travers elle que nous nous sommes rencontrés avec Élias Sanbar, chez Actes Sud, où il est traducteur de Darwich. C’est une poésie qui peut être difficile, il y a là d’ailleurs un très beau paradoxe, cette poésie qui n’a rien de facile d’accès et qui est si populaire en Palestine et dans les pays arabes. 
J’aime ce mélange qu’il y a chez Darwich, de ces voix à la fois lyriques et en colère, la présence de ce grondement me touche beaucoup. C’est une voix de combat, mais qui n’oublie pas de célébrer quelque chose du monde : ça peut être l’amour, ça peut être la terre, mais que le combat n’oublie pas la célébra- tion me semble important. 

Comment avez-vous procédé pour le choix des œuvres ? C’est une situation intimidante...

C’est très intimidant en effet ! Élias m’a mis à l’aise: ce qu’il me demandait, c’était un regard sur les œuvres qui composent le fonds, et d’y aller très naturellement en me laissant guider par mon seul goût. J’ai joué le jeu, et choisi sans autre regard que ce qui me touchait. Assez vite, quelque chose m’est apparu qui pourrait être un point commun, autour de la couleur, des couleurs : à la fois parce qu’il y avait énormément d’œuvres dans lesquelles le jaillissement, la vibration, la force de la couleur étaient présents, et parce que, s’agissant de la Palestine, ce mot de « couleurs », au pluriel qui plus est, me semblait intéressant. Ce n’est pas celui qui vient spontanément. On est tout de suite envahi par des images de guerre, de souffrance, donc de noir et blanc. Redonner un peu de couleurs, le temps d’une exposition, en tout cas mettre la couleur au premier plan, les couleurs dans toute leur diversité, me semblait un axe possible. 
Dans un premier temps, j’ai eu accès au fonds sous forme numérique et effectué un premier choix. Puis, juste avant le confinement, nous avons consacré un long moment, deux demi-journées, avec Ernest et Élias sur les lieux, pour l’accrochage. Cela a été le moment de modifier certaines choses, le choix se faisant alors en fonction des œuvres le unes les autres : parfois on constate que certaines juxtapositions ne marchent pas, à cause du format ou de la vibration interne de chaque œuvre ; on écarte celle-ci, on privilégie celle-là... C’est alors que nous avons vraiment monté l’exposition. À présent, aujourd’hui, après tout ce temps qui, finalement, s’est révélé précieux, elle est vraiment fin prête. 


Nous invitons deux publics. Il y a celui de Paris, qui vient aussi pour marquer sa présence, dans une démarche militante et politique. Mais ce qui est très beau, c’est qu’il y a un deuxième public, qui ne sera pas là au mois de septembre, mais qui est celui pour lequel tout cela est fait : c’est le public palestinien, qui verra un jour ces œuvres dans un musée en Palestine.
Avec le recul – et le temps long écoulé depuis le montage pour cause de pandémie – quel regard portez-vous sur votre accrochage ? Comment pensez-vous qu’il sera perçu par les visiteurs ? 

Il s’agit d’une exposition singulière du fait même de la genèse du projet. Elle ne part pas d’un axe thématique, ni ne se resserre sur un, deux ou trois artistes qui dialogueraient entre eux : elle donne à voir un fonds qui se constitue progressivement. D’emblée, et c’est assez singulier, je pense que ce qui va frapper, c’est l’énorme diversité de tous ces peintres, plasticiens, photographes, qui veulent y être. C’est cela qui me touche : derrière chaque tableau accroché au mur, il y a un homme ou une femme qui a décidé qu’il était important d’être là. Cette exposition est plus proche du banquet qu’autre chose. Chacun a voulu être à sa place, là, à côté des autres. 
Autre singularité : nous invitons deux publics. Il y a celui de Paris, qui sera à l’IMA dans les semaines qui viennent – et que nous espérons nombreux, parce que s’il vient, ce n’est pas uniquement pour voir les tableaux, mais aussi pour marquer sa présence, dans une démarche militante et politique ; et c’est bien ce que nous voulons, je crois, aussi. 
Mais ce qui est très beau, c’est qu’il y a un deuxième public, qui ne sera pas là au mois de septembre, mais qui est celui pour lequel tout cela est fait : c’est le public palestinien, qui verra un jour ces œuvres dans un musée en Palestine. Élias Sanbar tient beaucoup à cette idée, et c’est celle que je trouve la plus forte de l’ensemble du projet : au fond, tout cela est fait pour qu’un jour, ces œuvres-là soient là-bas et qu’elles soient vues, étudiées, commentées, aimées par de tout jeunes gens palestiniens qui ont envie de s’ouvrir à ces regards. C’est pour eux qu’on le fait aujourd’hui, ce fonds. 
Une dernière chose me touche aussi : Élias Sanbar demande aux artistes qui le veulent bien de donner une œuvre, mais sans nécessité que cette œuvre parle de la Palestine ; c’est parfois le cas, mais ce n’est pas obligatoire. Or, cela aussi renvoie à ce processus long de constitution progressive d’un musée en Palestine : si on réfléchit, qu’on se dit qu’il y aura un jour, à Jérusalem, un musée contemporain palestinien, il serait parfaitement inintéressant pour les Palestiniens que toutes les œuvres qu’ils y voient racontent la Palestine ou le conflit israélo-palestinien, qu’ils connaissent mieux que nous ! 
Il faut fournir cet effort, se dire que chacun doit amener son monde à lui pour le donner à partager avec le peuple palestinien. Il s’agit d’un voyage dans les deux sens : pour nous, vu d’ici, ce voyage s’adresse à la Palestine et nous invite à nous souvenir de ce qui se passe là-bas. Mais pour eux, ces œuvres constitueront autant d’appels au voyage, vers Paris, vers New York... pour chacun des Palestiniens qui les regardera.

Brigitte Nérou, rédactrice en chef du blog de l'IMA
Brigitte Nérou Avec plus de quinze ans d’expérience dans l’édition, Brigitte a rejoint l’Institut du monde arabe en 2003 comme secrétaire de rédaction du magazine Qantara . Elle prend à présent la... Lire la suite
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Présidence Publié par Jack Lang | le 10 octobre 2016

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