Regards
Publié le
par
Brigitte Nérou

La Nuit de noces de Si Béchir

de Habib Selmi

Il avait déjà fait à l’IMA le plaisir de sa venue, notamment avec des lectures-rencontres autour de ses romans « Les Amoureux de Baya » et, fin 2018, « Souriez, vous êtes en Tunisie ». Habib Selmi présente le 8 juin prochain, dans le cadre des Rencontres littéraires/Une heure avec…, « La Nuit de noces de Si Béchir ». A l’heure des révolutions arabes, plongée dans un village tunisien isolé autour d’un tabou d’un autre âge : celui de la virginité.  

On a en France une image assez fausse de la Tunisie, une vraie carte postale ! A l’intérieur des terres, on découvre une Tunisie tout autre ; c’est là le vrai visage du pays, et c’est celui qui m’intéresse.

La Nuit de noces de Si Béchir peut-elle se lire comme une suite de Souriez, vous êtes en Tunisie – après les urbains, les campagnards ? Comme la seconde partie d’un diptyque consacré à l’exploration de la Tunisie post-révolutionnaire ?

Ce n’est pas faux – encore que Souriez… se passe dans la Tunisie d’avant la révolution (le livre est paru quelques mois avant la révolution de décembre 2010 et a d’ailleurs été salué comme un « livre prémonitoire »). L'action de La Nuit de noces… se déroule effectivement à la campagne, en Tunisie et après la révolution, toile de fond de ce roman.
Mais l’histoire tourne essentiellement autour de l’hypocrisie, à travers un tabou encore bien vivace dans les campagnes : l’obligation pour une femme de conserver sa virginité jusqu’au mariage.  Ce n’est pas qu’en Tunisie, on perde en général moins facilement sa virginité qu’ailleurs ! Mais après, les filles s'en font refaire une. Le mari le sait, la famille le sait, mais tout le monde fait comme si la mariée était toujours vierge. C’est cette hypocrisie qui m’intéresse et que j’ai déjà abordée dans Souriez… Ce mensonge collectif et cette construction selon laquelle l’honneur de la famille repose sur la femme, et l’honneur de la femme sur son propre corps.
Cette histoire de virginité, c’est quelque chose de très ancien, qui devrait disparaître (c'est déjà le cas dans bon nombre de régions du monde) et qui rabaisse les femmes. On reste focalisé là-dessus, au lieu de parler d’amour et d’en venir à des relations saines entre hommes et femmes…

Vous décrivez un monde très violent où le fort écrase (ou non) le faible, à sa guise, où la femme est écrasée par l’homme. Avez-vous forcé le trait ?

Non, je n’ai pas exagéré. On a en France une image assez fausse de la Tunisie, une vraie carte postale ! Naturellement, ça me fait plaisir de dire du bien de mon pays… Mais cette image ne correspond pas à la réalité, hormis en ce qui concerne la zone côtière, celle d’une Tunisie assez moderne en effet. A l’intérieur des terres, on découvre une Tunisie tout autre ; c’est là le vrai visage du pays, et c’est celui qui m’intéresse.
Ce monde très traditionnel, conservateur, a perduré jusqu’à aujourd’hui. Une lutte s’est engagée entre conservatisme et modernité, mais les valeurs traditionnelles dominent encore. Il y a aussi beaucoup de pauvreté en Tunisie – comme partout, ce n’est pas propre à ce pays. Mais après la révolution, on a commencé à aller voir dans les campagnes : pauvreté, traditions, violences… ce qu’on y a découvert a choqué.
Dans mon livre, les relations entre personnages sont rudes, crues, c’est vrai. Mais dans les campagnes, c’est ainsi ; la femme y est considérée comme une chose, et c’est ce que je montre… C’est un livre féministe.

Qu’éprouvez-vous pour les personnages que vous avez créés ? De la compassion ?

Ça dépend des personnages ! Mais quels qu’ils soient, je ne les juge pas, je ne me pose pas en moralisateur se prévalant de sa modernité. Ainsi, à sa façon, le personnage de Béchir aime sa femme, bien sûr, mais des traditions, des normes vont jusqu’à lui interdire de s’excuser auprès d’elle, même s’il réalise qu’il a été injuste. 
Chaque type de vie a sa logique interne, et c’est cela qui m’intéresse. Mais j’éprouve une certaine tendresse pour ce monde car c’est aussi le mien.
La Tunisie, c’est aussi ce monde-là.

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