Caspar, la façade de l’IMA à l’heure du foot
Chaque soir du 9 au 16 avril 2019, pour fêter l’ouverture de l’exposition « Foot et monde arabe. La révolution du ballon rond » à l’IMA, les moucharabiehs de la façade Sud entrent en action avec un spectacle de vidéo-art mapping inédit : une évocation en images, son et lumière du football dans le monde arabe. Conçue par le concepteur vidéo et plasticien Caspar, accompagnée d’une création sonore de Gilles Mardirossian et produite par l’Atelier Athem, elle a été baptisée « IMA_GO_MUNDI ».
J’ai intégré dans la vidéo un rapport au jeu de ballon de rue, de plage… La base du rêve de cette jeunesse qui, en attendant de grandir et en espérant peut-être devenir le futur Zidane, le futur Mbappé, s’amuse, tout simplement, en jouant au foot.
En guise de préalable : êtes-vous amateur de football ?
Je regarde le Mondial, comme tout le monde, une fois tous les quatre ans. Mais je suis plutôt rugby. J’ai grandi dans le Sud-Ouest…
Comment êtes-vous parvenu à vous couler dans l’univers du foot, alors ?
La création de commande est souvent liée à une forme de contrainte et de liberté conditionnelle, ce que j’apprécie et avec quoi j’ai l’habitude de traiter. Que le sujet ne soit pas proche de mes préoccupations ne me pose pas de problème, je suis plutôt curieux. C’est aussi lié à ma pratique de chef monteur de documentaires : pendant de longues années, j’ai monté quantité de films dont j’ignorais tout du sujet, ce que j’ai toujours fait avec grand plaisir.
Par ailleurs, se prêter au rôle du candide me permet d’aborder un univers avec un regard peut-être plus neutre, plus neuf, plus vierge.
Votre création élabore un univers très graphique, ludique. Pourquoi ce choix ?
Le processus créatif s’est construit sur les iris de l’IMA. Il y a ce rapport avec l’ouverture des diaphragmes, ce rapport à la lumière, au système solaire, au temps que j’ai voulu d’une certaine manière accélérer. Mais sans lui conférer l’aspect lisse des animations parfaites d’aujourd’hui, mais plutôt un aspect poétique, plus articulé ; plus « traditionnel » que les animations ultra-numériques telles qu’on peut les réaliser de nos jours. Concernant le graphisme, il y a un jeu de mise à plat et de mise en couleurs très épuré, avec des harmonies très proches des camaïeux de bleus des poteries, mosaïques et l’univers coloriel de certains villages du Maghreb.
Concernant l’approche ludique, je fais aussi référence, dans la manière même dont j’anime cette vidéo, à toutes sortes de jeux qui furent (et restent encore) le terreau des jeux d’animation – les jeux mythiques Atari, les break wall, les ballons captifs, etc. Une manière de rappeler que, par-delà son hyper-professionnalisation, le football reste un jeu. J’ai aussi intégré dans la vidéo un rapport au jeu de ballon de rue, de plage… La base du rêve de cette jeunesse qui, en attendant de grandir et en espérant peut-être devenir le futur Zidane, le futur Mbappé, s’amuse, tout simplement, en jouant au foot.
Ce type d’intervention éphémère implique que le public vienne à sa rencontre pendant une durée déterminée, sinon… tant pis ! Il y a un challenge : ce n’est pas uniquement mon œuvre qui va disparaître, c’est aussi au public de venir, ou ne pas venir, la voir.
Avez-vous conçu votre vidéo-art mapping en tenant compte des contraintes techniques, ou l’avez-vous d’abord imaginé avant de l’adapter au contexte ?
En l’occurrence, tout a débuté par une rencontre avec Claude Mollard [conseiller spécial de Jack Lang à l’Institut du monde arabe], qui s’est enthousiasmé pour l’une de mes vidéo-art, présentée lors de mon exposition « Paradigm-e » à Bruxelles, et m’a exprimé son souhait d’en voir une habiller la façade Sud du bâtiment de l’IMA. Ce bâtiment, je le connais très bien, je suis littéralement amoureux de son architecture, de ses iris mécaniques et de la technologie d’horloger exceptionnelle créée pour cela ! J’ai donc conçu une première esquisse qui se concentrait sur la thématique de l’IMA au cœur de Paris… mais pas du monde arabe ; il m’a été suggéré d’œuvrer dans ce sens. Puis de fil en aiguille – ça a pris un certain temps et pas moins de neuf maquettes –, nous en sommes arrivés à l’idée d’intégrer mon travail à l’exposition « Foot et monde arabe ».
Deuxième contrainte : la dimension. Avec ce type de projet, nous sommes littéralement hors mesure – vous connaissez les dimensions de l’IMA –, ce à quoi s’ajoutent les travaux du parvis : il a fallu que je réduise mon mapping à une portion de la façade, faute de recul suffisant. Sans parler de la contrainte liée au fonctionnement des ordinateurs ; cela dit, ça fait des années que je cherche à dépasser les limites de la machine, je commence à savoir comment m’y prendre !
Pourquoi avoir baptisé votre œuvre « IMA_GO_MUNDI » ?
C’est une référence au concept de l’imago mundi, chère au grand anthropologue Marcel Griaule, et qu’évoquait Jean-Louis Paudrat, l’un de ses fils spirituels et mon professeur à la Sorbonne : C’est à la fois le pilier central d’une demeure et une représentation symbolique et naïve du monde. C’est notamment le titre d’un ouvrage de cosmographie que Christophe Collomb a emporté avec lui lors de son premier voyage vers l’Amérique. En somme, l’imago mundi, c’est une représentation du repère. En inventant le titre IMA_GO_MUNDI, avec le « GO » pour la notion de mouvement et « MUNDI » pour le monde, s’est imposée à moi l’image d’un énorme vaisseau IMA, à quai le long de la Seine, prêt à nous embarquer pour des voyages…
N’éprouvez-vous pas de frustration à créer des œuvres éphémères ?
Différents processus permettent de pérenniser ce type d’œuvres. Mais pour répondre à votre question, je ne me spécialise pas dans l’œuvre éphémère ; celle-ci fait partie d’un panel d’expressions, de la même façon que, pour les artistes modernes, il y avait le dessin, la gravure, la peinture, la sculpture… Aujourd’hui, les nouveaux médias permettent de créer, d’un part des œuvres pérennes, d’autre part ce type d’intervention éphémère, impliquant que le public vienne à sa rencontre pendant une durée déterminée, sinon… tant pis ! Il y a un challenge : ce n’est pas uniquement mon œuvre qui va disparaître, c’est aussi au public de venir, ou ne pas venir, la voir.
Par ailleurs, la présentation du processus de création de cette œuvre, dans son intégralité, sera à découvrir lors d’une exposition en octobre de l’année prochaine à Bruxelles chez le collectionneur Frédéric De Goldschmidt. Et un site web en retracera les grandes étapes de création. De fait, la performance du vidéo mapping reste éphémère, et c’est le but recherché. Mais sa traçabilité demeure.