Portraits
Publié le
par
Brigitte Nérou

Entretien avec les apiculteurs du rucher de l’IMA

L’IMA ? Tout miel !

De mars à septembre 2019, le rucher de l’IMA et l’Ecole d’apiculture urbaine de Paris invitent leurs visiteurs à un cycle de conférences sur le monde des abeilles. Elles sont animées par Walid Loulidi, chargé, avec Ibrahim Karout, du bon soin du rucher de l’IMA. Rencontre avec deux mordus des abeilles respectivement originaires du Maroc et de Syrie, qui se sont promis de faire de l’IMA un site exemplaire d’apiculture urbaine.

Des conférences sur les abeilles ? « Notre propos, précise Walid Loulidi, n’est pas de nous cantonner à une approche technique ou scientifique, mais d’adopter un cadre plus général, celui de l’art de vivre méditerranéen. » Sans oublier l’aspect civilisationnel, ajoute-t-il encore, notamment lié aux multiples usages de la cire depuis l’Antiquité. On oublierait presque aujourd’hui que l’abeille ne produit pas « que » du miel, de la propolis et de la gelée royale. Et que, pendant des siècles, la cire généra un commerce considérable, bien supérieur à celui du miel…

 « Il y aura de nombreux focus sur les abeilles, tempère Ibrahim Karout. Ce qu’elles sont, pourquoi nous en avons peur alors qu’elles n’attaquent que si on les agresse. Pour moi, les abeilles, c’est de la joie pure ! Ce que je veux, c’est partager mon expérience et faire aimer cet insecte qui nous est ô combien nécessaire… »

L'apiculture urbaine ? Il s’agit de faire en sorte que l’homme et l’abeille vivent ensemble, et c’est une bonne chose.

Ibrahim Karout : « Enfant, je jouais avec les abeilles… »

« Je m’appelle Ibrahim Karout, je viens de Syrie. Là-bas, quand j’étais enfant, je jouais avec les abeilles… »

Ibrahim Karout est ingénieur électricien, réfugié en France depuis six ans. Mais qu’on lui parle d’abeilles et son visage s’éclaire. Celui qui se présente comme « apiculteur depuis l’âge de cinq ans » est né dans un village de montagne du centre de la Syrie, près de la ville de Hama, au milieu des ruches – « Mon père est le premier à les avoir installées ; à l’époque, il s’agissait de ruches traditionnelles en argile. »

Tout autour de la maison de son enfance, des douzaines de ruches. Ibrahim se prend de passion pour l’insecte, donne un coup de main à son père, le harcèle de questions sur le pourquoi du comment… « J’adorais les abeilles, je jouais avec elles. Je me suis bien fait piquer quelquefois, mais uniquement quand je “faisais le méchant”. Elles allaient et venaient chez nous, j’aimais leur bourdonnement. C’est pourquoi je suis tant séduit par l’apiculture urbaine : il s’agit de faire en sorte que l’homme et l’abeille vivent ensemble, et c’est une bonne chose. »

Dans la région natale d’Ibrahim, le dénivellement ne se prête guère à l’agriculture. Mais il y a des fleurs en abondance une bonne partie de l’année : en 1976, il lance un projet pour faire vivre les villageois du miel, les forme à l’apiculture et développe sa propre entreprise. Les résultats sont inespérés : bientôt, 80% des revenus du village proviennent du miel et des abeilles, et le miel Karout est distribué dans presque tout le Moyen-Orient. « La première marque, précise Ibrahim, qui ajoute : mon frère [demeuré en Syrie] parvient encore à en vivre, malgré la guerre, et s’occupe de nos 200 ruches. Les abeilles ne s’intéressent pas aux guerres, elles continuent à butiner… Et je reçois régulièrement, par messagerie, des mots de remerciement de ceux qui, grâce à ce métier, parviennent à gagner leur vie. »

Aujourd’hui, Ibrahim Karout met son savoir-faire au service de l’association Espero, installée en Seine-Saint-Denis, à Bobigny : il y forme des demandeurs d’asile, des réfugiés et des personnes éloignées de l’emploi à l’apiculture.

Et encore ? Il sort son téléphone portable et me montre des photos de ce qui ressemble à un grand cadre de bois accroché à un mur. « En ce moment, je travaille à un projet de ruche pédagogique à installer chez soi. Regardez, il y a deux chemins pour les allers et retours des abeilles, grâce à un simple trou percé dans l’encadrement de la fenêtre, c’est leur autoroute. Et on peut ouvrir la ruche de temps en temps pour parler avec les abeilles, et puis on referme… » Devant moi, Ibrahim Karout, un enfant de cinq ans qui s’émerveille des beautés du monde.

Je suis complètement tombé sous le charme des abeilles ! Au point d’en faire mon métier depuis cette année. Les abeilles, c’est tout un monde. Un monde extraordinaire…

Walid Loulidi : « Tombé sous le charme ! »

« Ibrahim, c’est l’homme qui parle à l’oreille des abeilles ! Moi pas, mais le maître est là… »  Walid Loulidi est à moitié sérieux et son admiration pour Ibrahim Karout, tout sauf feinte.

« Mon histoire est complètement différente : j’étais totalement étranger au monde des abeilles – enfin, presque : au Maroc, il y avait des ruches dans notre jardin ; dans les pays du Maghreb, on est restés plus proches qu’ici des abeilles. Je suis fonctionnaire, responsable de formation, et j’habite à Paris dans une grande résidence de cent logements. Il y a quatre ans, avec deux autres habitants du lieu, nous avons dégagé un budget pour restaurer la nature dans notre résidence. Comment encourager les occupants à mieux la respecter ? »

L’idée leur vient de prendre l’abeille comme guide. A l’issue d’une formation d’un an auprès de la Société centrale d’apiculture, ils concrétisent leur projet : rucher, miellerie, conférences… « Ça marche très bien, et ceux qui viennent nous voir participent, posent des questions, du plus petit au plus grand. Il y a peu de domaines où l’on peut ainsi toucher tout le monde, de l’enfant à la personne âgée. »

« Pendant ces quatre années, j’ai passé mon temps à apprendre, lire, comprendre… Par exemple il y a peu, je lisais un livre sur la démocratie chez les abeilles, sur la façon dont elles prennent une décision en commun. Ce sont des insectes surprenants à tous égards, les plus étudiés au monde, mais sur lesquels on fait encore et encore des découvertes.
Bref, je suis complètement tombé sous le charme ! Au point d’en faire mon métier depuis cette année. Les abeilles, c’est tout un monde. Un monde extraordinaire… »

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