Six années bien remplies, depuis qu’elle a quitté Casablanca pour Paris, bien décidée à exercer un métier dans le domaine artistique. Tout juste diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (ENSAD), section « design graphique et multimédia », Abla Waridi-Bennouna prépare cette année son diplôme de fin d’études à l'Ecole nationale supérieure d'architecture Paris-Val-de-Seine, et se verrait bien en designer de l'espace public.
Le désir d’être dans le concret, enfin ! A l’ENSAD, on en manque ; disons que nous sommes dans la créativité pure. Comment allait-on réagir à mon travail ? C’est ce que je voulais savoir. Par ailleurs, il m’a fallu m’accommoder d’un délai, ce qui pour moi n’est pas simple. Je n’ai pas franchement rencontré de difficultés techniques – hormis le placement du titre, en raison de sa longueur. Mais à quel moment s’arrêter dans sa recherche ? Quand décider que son travail est achevé ? Pour moi, rien n’est jamais fini : on rend le projet pour cause de date limite de remise, mais on pourrait encore et encore l’améliorer, que ce soit en architecture ou en graphisme.
C’est qu’il n’y a pas une piste, mais plusieurs. Du coup, si j’ai le temps, je les explore toutes. Ainsi, pour cette affiche, je n’ai pas présenté une, mais trois propositions. Et j’avais encore d’autres solutions à proposer. Ma seule limite, c’est le temps !
La conception se fait toujours sur papier. Je préfère suggérer plutôt que d’illustrer, d’où la part de poésie dans mon travail. Je m’attarde sur des détails qui font sens pour moi mais ne parlent pas nécessairement à tous. Accumulés, ces détails vont plus dans le signifiant, comme autant d’indices, de jalons infimes. Travailler à l’écran, c’est difficile car ce n’est pas à échelle de l’affiche. Je suis obligée de passer par des choses plus concrètes, plus physiques. L’écran, c’est toujours dans un deuxième temps.
Abla Waridi-Bennouna
Miro, Kandinsky, plutôt l’abstraction… Mais vous savez, au Maroc, même si les choses bougent ces dernières années, on n’a pas franchement l’occasion d’aller voir beaucoup d’expositions ! Autant dire que j’avais une petite culture de l’art marocain et que le reste, j’ai dû aller le chercher dans les livres.
Quant au graphisme, c’est un domaine totalement méconnu au Maroc. Ce sont mes professeurs de l’ENSAD qui m’ont fait découvrir cette discipline. Parmi ceux qui m’ont le plus apporté, Ruedi Baur, qui travaille en même temps le graphisme et l’espace, Malte Martin, pour l’espace public, ou encore Catherine Jourdan et ses « cartes sensibles » : toutes problématiques qui m’intéressent particulièrement car elles font le lien entre graphisme et architecture. « Donner à voir autre chose que des signes administratifs et commerciaux », pour reprendre les mots de Malte Martin, est une perspective qui m’est chère : faire de l’espace public un espace sensible et vivant, de déambulation et de partage, y intégrer un peu de poésie. Il s’agit aussi d’éducation, finalement.
Au Maroc, l’accès à la culture n’est pas naturel, le pays compte encore beaucoup d’analphabètes. J’espère pouvoir utiliser ma double casquette comme un espace de sensibilisation à la culture et de système d’éducation.
Ce n’est pas simple, en effet. D’autant qu’au Maroc, où j’ai déjà prospecté, je suis confrontée à une difficulté spécifique : l’absence de culture artistique. Pour la plupart des Marocains, graphisme rime forcément avec infographisme, les seuls débouchés possibles étant le marketing et la communication. Or, si j’aime ce métier, c’est que j’y revendique sa part artistique ! Quitte à refuser un travail, faute du temps et du budget nécessaire pour le réaliser dans cette optique : concevoir une identité visuelle, un logo en quelques jours, comme on me l’a déjà proposé, ce n’est pas pour moi !
Néanmoins, à long terme, j’aimerais travailler au Maroc où beaucoup reste à faire. Particulièrement à Casablanca où j’ai grandi. Mon diplôme de fin d’études à l’ENSAD portait sur Casa : j’ai réalisé un guide sensible de la ville à travers un palimpseste de portraits polyphoniques. J’ai mis en place des outils de déambulation, des systèmes de « portraitisation » de cette ville, que beaucoup considèrent comme un cataclysme en pleine mutation dépourvu d’attaches sensibles. Et au fil de mon travail, j’ai réalisé combien je suis attachée à Casa, comme le sont ses habitants, tout dégoûtés qu’ils soient par ce « monstre » bruyant et pollué. Tout compte fait, c’est une ville très poétique, où il y a beaucoup à voir.
A l’origine de l’association, il y a un groupe d’amis d’horizons divers – un médecin, une avocate, une professionnelle du management… –, tous unis par une même passion pour l’art ; et animés de la volonté d’offrir cette passion en partage à des enfants défavorisés, au Maroc et à travers le monde. Notre propos : au travers d’activités culturelles et artistiques, faire découvrir un nouvel univers à ces enfants, qui vivent dans des villages difficiles d’accès ; élargir leur quotidien, leur procurer un moyen d’expression et d’évasion. Mais aussi utiliser l’art comme vecteur de rapprochement social.
Notre bureau est basé à Paris – pas simple pour organiser nos réunions, car nous ne vivons pas tous en France –, et nous travaillons en partenariat avec une autre association, basée au Maroc. Nous avons déjà mené six missions, dont quatre au Maroc, une en Colombie et une en Haïti. Pour chacune, il s’agit de réunir une bonne quinzaine de bénévoles chargés de diriger des activités artistiques et culturelles pendant quinze jours de missions dans une école et de lever les fonds qui permettront d’acheter le matériel, des cartables équipés, d’améliorer les conditions d’apprentissage en rénovant l’école (installation de panneaux solaires, par exemple), etc. Autre grande ligne du projet : privilégier plusieurs actions successives dans un même village pour assurer un suivi et obtenir des résultats qui ne soient pas éphémères.
Nos premières missions ont remporté un très beau succès : les enfants sont nombreux à venir, et plus encore le 2e jour, quand la nouvelle de notre arrivée s’est répandue dans le village. Ces enfants ont envie d’apprendre. Autant vous dire que cette troisième casquette m’est aussi chère que les deux premières. Pourquoi s’obliger à choisir, quand tout vous tient à cœur ?
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