Plus qu’une voix d’or, Nassima est désormais la voix de l’Âge d’or du chant arabo-andalou. Son prénom porte déjà cette « petite brise », ce « zéphyr » qui, jadis, soufflait des rives du Guadalquivir aux terrasses de l’Alhambra… La fille de Blida, la « Ville des roses » célébrée par Camille Saint-Saëns (Rêverie du soir à Blida), a fait son conservatoire à l’âge où ses copines fredonnaient des berceuses à leurs poupées de chiffons. Sur le chemin de l’adulte devenu(e) artiste, il y a toujours un maître inspiré qui repère chez l’enfant le don que ses propres parents ne sont pas en mesure de voir ou de promouvoir. Dahmane Ben Achour fut pour Nassima ce que fut Monsieur Germain pour Albert Camus : le pédagogue et le parrain. Tout comme l’immense Cheikh Sadek Abdjaoui, papa spirituel « couveur », ou Hamidou Djaïdri, conseiller artistique à la radio algérienne.
Nul n’étant prophète en son pays, il aura fallu ses succès à l’étranger, et jusqu’au célèbre Carnegie Hall de New York, pour que l’Algérie officielle, à la traîne du public, se mette à son écoute. Lorsqu’en 1994, Nassima fuit une Algérie, meurtrie et endeuillée par les violences terroristes, pour s’installer à Paris, le répertoire arabo-andalou était encore en quête de la diva qui devait le revivifier et l’ouvrir au monde. Vingt ans après, la mezzo-soprano ne compte plus les hommages. C’est dans l’univers mystique du soufisme qu’elle s’épanouit et confirme la maîtrise de son art, en faisant revivre les poèmes de l’émir Abdelkader (« Je suis à la fois l’Amour, l’Amant et l’Aimé/Je suis l’Amoureux Aimé /Secrètement au grand jour ») ou, plus anciens et plus mystiques, ceux d’Ibn Arabi et d’Ibn Hazm. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter Voie soufie, voix d’amour (Institut du monde arabe /harmonia mundi), un album qu’elle dit avoir conçu comme sa « réponse à la diabolisation de l’Islam ». Elle a fait sienne, également, cette jolie formule du Berbère Saint-Augustin : « La mesure de l’Amour est d’aimer sans mesure ».
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