Terminé
31 mars01 avril 2006

La Voix de la Mésopotamie

Farida

Le maqâm (qui signifie « situation » ou « endroit ») se réfère, dans le monde arabe, à des modes musicaux habités par une humeur ou un sentiment particulier. En Irak, il définit un genre musical composé d’un vaste répertoire de musiques savantes comprenant cinquante-trois modes. L’actuel maqâm irakien s’est dessiné à la fin du XVIIIe siècle, mais on ne pourra s’empêcher, en écoutant Farida, de penser à l’époque des Abbassides (VIIIe-XIIIe siècle), durant laquelle Bagdad, et l’Irak dans son ensemble, ancienne terre de Mésopotamie, connaîtra un islam universel aux confins du monde arabe, turc et persan.

C’est ainsi que Farida, avec sa voix vibrante et son regard profond, nous invite à participer à un voyage en toute complicité, basé sur une déclinaison d’émotions qui s’articulent autour du thème de l’amour. Les compositions associant poèmes classiques et populaires et obéissant aux règles d’une théorie orale éveillent ainsi tous nos sens.

Les sources d’inspiration de Farida ont été les maîtres incontestés du maqâm irakien : Muhammad al-Gubbanji et Youssef Omar. Mais si aujourd’hui elle peut se prévaloir du titre d’héritière du maqâm irakien, c’est après un perfectionnement auprès du grand maître Munir Bashir, qui l’a fait connaître, et de Hussein al-Adhami, et également grâce à son talent singulier.

Dans le tchâlghi Baghdadi (orchestre de maqâm irakien), c’est l’homme qui chante, et si, parmi ces règles, Farida a su et a pu y faire sa place, c’est entre autre grâce à son origine. Farida Muhammad Ali est née à Kerbela, ville mythique du chiisme musulman, au sud de l’Irak, où la tradition du chant féminin était admise.

Dans ces représentations, la voix de Farida est accompagnée d’une musique instrumentale jouée par Djamil al-Assadi au qânûn, Adnân Shannân au nây, Abdellatif al-Ubaydi au tabla, Karim Darwish au riqq, Saher al-Sanâtî aux percussions naggara et Mohammad Gomar au djozé (vièle à quatre cordes menacée de disparition par l’introduction abusive du violon dans les orchestres). Ce dernier a reçu son enseignement auprès de Shaoubi Ibrahim, l’accompagnateur de Youssef Omar.

Après le prélude instrumental (muqadimma) et à travers le qari (le chanteur ou récitant), nous nous retrouvons envoûtés par ces rythmes, mais aussi par la personnalité chaleureuse et généreuse de Farida. Le muqadimma laisse ensuite place au mawwâl, introduction libre et poétique de tout chant arabe classique, qui trouve son origine dans la tradition irakienne. La peste, passage rythmé et festif, conclut le tout et puise sa source dans les chants populaires et régionaux.

La tradition du maqâm perpétuée par Farida fait florès : concerts au Koweït (1989), à Moscou (1990), mais aussi au Festival international d’Ouzbékistan (1990), au Festival de la médina de Tunis (1992), au Festival de chants arabes d’Amman (1995), au Festival d’Utrecht (1996), à l’IMA (1999) et lors de multiples représentations à Londres, en Algérie, au Maroc et aux Etats-Unis. Elle a notamment contribué à la création de la Fondation du maqâm irakien aux Pays-Bas, pour transmettre cet art traditionnel, acte qu’elle définit « comme un devoir ».

Partout où Farida Muhammad Ali et ses musiciens passent, c’est à un voyage dans le monde, un voyage dans le temps, un voyage dans les sens, que nous sommes invités…