Terminé
18 juin 2005

Raï d’auteur

Avec Bilal

Dans l'univers du raï, les auteurscompositeurs- interprètes se comptent sur les doigts d'une seule main. On peut, à la rigueur, citer Cheb Mami, Houari Benchenet et, à un degré moindre, Sahraoui. Le premier est devenu un artiste international tandis que les seconds sont restés dans la marge malgré leurs tentatives louables pour sortir du marché communautaire. Ce dernier, touché par la crise, véhicule peu de gros succès depuis 1990 et les rares chanteurs de raï, issus du bled, qui ont fait vibrer le public maghrébin se nomment Kadirou, El Hindi, Kheira, Hassan, Abdou et Djelloul. Mais le plus marquant a été – et reste, numéro un oblige - Cheb Bilal dont pratiquement chaque cassette est attendue avec impatience. A Oran, c'est à qui aura le privilège de l'enregistrer et, souvent, la compétition est rude entre les différents labels locaux comme Saint Crépain, Sun House, Fraternelle, Laser ou Red Song. Bilal est, en ce début de troisième millénaire, l'un des artistes également les plus convoités par les patrons des clubs qui fleurissent sur la corniche oranaise. En Algérie, où il est attendu, à chacun de ses passages, comme un messie, il rassemble les franges les plus diverses. A Oran, que vous soyez dans un taxi, dans un hammam ou dans un bar, impossible d’échapper à un de ses nombreux tubes.
C'est qu'il est aussi un auteur à l'inspiration fulgurante qui se refuse au jeu des reprises. Le moindre de ses titres est immédiatement exploité par ses autres camarades de cabaret, conscients de l'impact des textes et des musiques de ce petit génie du raï, un genre qui ne l'attirait pas vraiment au début. Né le 23 juillet 1966 à Cherchell, une ville côtière historique proche d'Alger, Bilal Mouffok a grandi à Oran où ses parents se sont installés alors qu'il avait à peine trois mois. Il s'initie à la musique en commencant par gratter sur la guitare de son frère avant d'intégrer un groupe de quartier. Il se fera connaître localement par des prestations, basées sur un répertoire marocain, dans des fêtes de mariages ou des soirées privées. Mais sa réputation n'ira pas plus loin et il lui faudra patienter encore quelques années pour se faire une place au soleil du raï.

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En 1989, il débarque à Marseille en « harrag » (brûleur de frontières) avec comme bagages les nombreux textes qu'il a écrit. Il a du mal à trouver ses marques et n'a d'autre ressource que de travailler dans les quelques cabarets orientaux existant dans la cité phocéenne. C'est dans cette ville, lui rappelant Oran, qu'il se liera d'amitié avec Cheb Aïssa qui reprendra quelques unes de ses chansons comme Chira France (Fille de France). Ses vrais débuts « officiels » comme il dit, il les effectue à Nîmes puis, trois ans plus tard, il grave enfin, aux éditions Ouissem, dirigées par un Syrien, sa première cassette, sous le titre Babor Li Jebni (Maudit soit le bateau qui m'a amené), qui lui apportera un commencement de reconnaissance, d'abord dans la région marseillaise. Grâce à ce coup d'éclat, il parvient à se glisser dans de multiples concerts ayant comme têtes d'affiche Cheb Mami, Cheb Hasni, Fadéla et Sahraoui ou Cheb Hamid. D'autres morceaux suivent, tels El ghourba wa el ham (L’exil et le malheur), Li âklah s'ghir (Esprit étriqué), Jamais Jamais, Jit Parazard (Passé par hasard), Dardja Dardja (Etape par étape) et surtout Ouled el horma (Les enfants de la dignité), le chant qui l'a porté au sommet de la popularité et lui a valu l'exploit d'être le premier chanteur de raï né en Algérie à s'imposer dans son pays d’origine, à partir d'une consécration, bien que communautaire, en France.
Avec ses mots reflétant ou un vécu personnel ou le quotidien infernal des autres sur fond d'exil et de solitude, Bilal a su toucher un large public. Musicalement, on retrouve les racines rurales mais aussi un esprit flamenco ou salsa.
Ce fan de Khaled, Hasni et Nass El Ghiwane, le groupe culte marocain qui lui a donné envie de se lancer dans la chanson, a une opinion tranchée sur sa conception du raï : « A la fin des années 1970, j'ai remarqué un essoufflement du genre Ghiwane malgré la force du texte et, en parallèle, une montée du raï malgré la faiblesse des paroles. J'ai donc essayé de faire une musique qui marche au raï sur une inspiration Ghiwane ». Après une longue série de cassettes, produites par des éditeurs maghrébins, il avait enregistré Sidi Sidi, distribué par Polydor et destiné à un marché plus large que celui de la seule communauté à laquelle il appartient. Dans la même veine, mais avec des sensations latinos, un tempo de l’Atlas et un retour vers le trab (raï des racines), il vient de sortir Hadi Hala chez Virgin/EMI.

R.M.