Connue surtout pour son port de pêche, son quartier turc et ses familles andalouses, Mostaganem, ville du littoral algérien, abrite une des tarîqa les plus importantes de l’univers soufi. Murustaga l’antique est, en effet, le siège de la confrérie Alawiya. A sa tête, et ceci sans interruption depuis la venue du prophète Mohamed et de son gendre Ali, quarante-cinq chefs spirituels se sont succédés. Le dernier en date, le cheikh Khaled Bentounès, a été désigné en 1975. Vénéré dans toute la région et reconnu au niveau international, il parcourt encore et toujours le monde pour dispenser son précieux enseignement. On en retrouve l’essentiel dans un ouvrage profond, Le soufisme au cœur de l’islam (éditions La table ronde), qu’il a consacré au tasawwuf (soufisme en arabe) la voie ésotérique de l’islam, en fait.
« Si l’islam est un corps, le soufisme en est son cœur, on réapprend à goûter la saveur de Dieu dans le silence de l’instant. Son objet est la quête de la vérité par l’expérience », rappelle notamment cheikh Khaled Bentounès. Né en 1949 à Mostaganem, Khaled Bentounès est issu d’une vieille famille qui compte parmi elle des hommes de loi et des religieux, parmi lesquels son arrière-grand-père maternel, le cheikh al-Alawi. Dès l’âge de 4 ans, Khaled commence à assimiler les sourates du Coran et, quelques dix ans plus tard, il apprend à les commenter.A cette époque, son père est lui-même le chef de la confrérie.
Très brillant, il suit les cours de l’école publique, où l’enseignement est dispensé par des coopérants français. La journée, il lit Le capital de Marx ou Le diable et le bon dieu de Sartre ;mais le soir, il retrouve l’école coranique. Discret et effacé, il est aujourd’hui le guide spirituel d’une confrérie mystique qui compte des dizaines de milliers de disciples dans le monde musulman. Khaled Bentounès incarne, en même temps, la tradition et la modernité d’un rituel, dont il ne cesse de rappeller «le rôle majeur dans la sauvegarde d’un patrimoine musical immense ». « Les poèmes mystiques composés à la gloire de Dieu et du Prophète, chantés avec ou sans accompagnement instrumental, ont permis tout au long des siècles de la Décadence de sauver l’identité musulmane du Maghreb comme du Machreq », ajoute-t-il. Alors qu’il atteint sa quinzième année, il se met à commenter et à débattre certains aspects historiques, rituels et spirituels du texte coranique. Le cheick souligne le fait qu’aujourd’hui les jeunes ne suivent qu’un enseignement classique à l’école et donc, perdent alors leurs repères traditionnels. Il explique ainsi la situation des conflits dans le monde musulman : « On dit aux jeunes qu’ils sont musulmans, mais on ne leur dit pas comment vivre cette islamité. L’homme est alors vidé de ses références intérieures, de sa spiritualité. La religion peut donc devenir ce que veut le pouvoir. Les textes sont interprétés à l’envers, afin de justifier des actes politiques. Et la religion devient un instrument de manipulation de la population. » A l’âge de 20 ans, il doit fuir l’Algérie pour la France. Son père est arrêté. En effet, l’idéologie socialiste de l’époque s’opposait alors à l’enseignement dispensé par la confrérie.A la mort de son père, la communauté le choisit à son tour comme cheick, même si traditionnellement, la succession au sein de la tariqa n’est pas héréditaire. Il liquide ses affaires en Europe pour se consacrer entièrement à son rôle. Il tente de venir en aide à tous, en prenant exemple sur son ancêtre le cheick al-Alawi qui, quand il allait dans les maisons closes instruire les prostituées, expliquait : « Il y a plus de mérite à sortir les créatures de l’enfer qu’à prêcher les hommes. »