Il pleut sur Bassorah en ruines, comme il pleuvait le jour où Fawzy Al-Aiedy est né (sa mère se rappelle avoir accouché entre deux averses), « vers » 1950. Depuis, il n'a de bonheur qu'à se brûler la voix au soleil de la musique. Il a gardé intacts en lui les parfums de son pays, qu'il distille à fleur de mélodie. Ces parfums qui lui donnent du baume au cœur et soignent la déchirure de l'exil. En 1971, contraint de quitter l'Irak, Fawzy s'établit en France. Son crédo : refuser toute dictature. Les conséquences : rester plus de vingt-cinq ans sans revoir sa terre, sans revoir sa mère, résister, mais continuer d'embrasser l'espoir. La musique d’Al-Aiedy est un sourire. Le « voleur de Bassorah » aime voyager. Il saisit au vol des senteurs qui parlent à sa mémoire. Un jour, lors d'un périple qui l’avait mené jusqu'à Hong-Kong pour les besoins d’une tournée, il s'était surpris à songer : «Survoler l'Irak dans un « grand oiseau », voir une petite lumière en bas, sentir mon pays, si proche». Mais l'intense désir de fouler le sol natal demeure cadenassé par l'exil. C'est l'heure, pour Fawzy, de boire aux sources jusqu'à l'ivresse. A celles-ci, cet homme à l'écoute de son temps mêle naturellement la modernité qui l'habite. Pour son Paris-Bagdad Acoustic, il développe la rencontre de l'ancestral oud (luth arabe) et du chant oriental avec le violon oriental et la contrebasse, tandis que la derbouka (percussion) imprime des pulsations entraînantes. A la voix et au oud, Fawzy célèbre une importante part de la musique du Moyen-Orient, mal connue en Europe. Une musique qui conjugue subtilement l'essence de la poésie et une irrésistible invitation à la transe, pour conduire au tarab (extase). Les lignes mélodiques aux fines arabesques s'animent d'un mouvement sensuel, tandis que les maqâms - modes orientaux - ensemencent les compositions de Fawzy. Le musicien irakien réunit ainsi tradition et création dans un même élan. Il y a chez lui, cette curiosité, cet appel du voyage, ce sens de l'autre - de l'humain tout simplement -, cette singulière universalité, cette émotion intègre, intégrale.
Fara C., journaliste à Jazzman et à L'Humanité