Hommage à El Hadj M’Hamed El Anka et Dahmane El Harrachi
El Anka, maître absolu du chaâbi
Genre populaire de la casbah d’Alger, le chaâbi, connaît sa véritable heure de gloire à l’aube des années 30-40, sous la houlette de Mohand Ouyidir Halo, surnommé El-Anka. El Hadj (1907-1978) commence par « taper » la derbouka au sein de l’orchestre de Cheikh Nador, l’inspirateur, avant de voler de ses propres ailes. Il fonde sa renommée en s’attaquant, lui le rural urbanisé, à ce bastion réputé inaccessible qu’est la musique andalouse, longtemps chasse gardée des couches aisées. À une pratique savante et rigide, il oppose une autre, au phrasé particulier et au style plus direct et plus vif. Exploitant le riche gisement de la réalité, les textes d’El Hadj portent la misère, les silences forcés, parfois les colères et la révolte du peuple. Mais ils parlent également de l’amour du prochain, de l’amour tout court, ou de l’attachement à Dieu. El Anka, virtuose de la mandole, qui a supplanté le luth, s’emploie à faire rapidement déferler le chaâbi dans les quartiers populaires et à le verser du « baume » à l’oreille du « petit » peuple, souvent délogé des campagnes par l’oppression coloniale et venu chercher un incertain refuge dans les grandes cités. El Hadj M’hamed El Anka (au luth)
Un Dahmane brut
Le parcours artistique d’EI-Harrachi - né Abderrahmane Amrani le 7 juillet 1925 à El Biar, Alger - porte la marque de son vécu. Observateur attentif et vigilant du milieu des travailleurs immigrés, Dahmane a toujours évité de tomber dans le misérabilisme ambiant. Du chaâbi algérois, il a gardé certaines lignes mélodiques et une nette propension aux dictons puisés dans la tradition poétique orale. El Harrachi use d’un parler simple, compréhensible par l’ensemble de la communauté maghrébine, ce qui explique en partie son large succès. En 1949, il se rend en France et s’installe d’abord à Lille, puis à Marseille et enfin Paris, qu’il ne quittera pratiquement plus. C’est dans les cafés, endroits-tremplins où l’on vient humer l’air du pays, qu’il se produit régulièrement. Élégant, avec sa belle gueule d’atmosphère, buveur, le « bluesman » des faubourgs séduit, bouleverse et remue les consciences. Découvert sur le tard par la nouvelle génération, le créateur de Ya Rayah a eu droit à sa première scène publique à la fin des années 70, lors d’un Festival de musique maghrébine à Paris. Il connaîtra une fin tragique, le 31 août 1980, dans un accident de voiture, sur la corniche algéroise qu’il sublimait par-dessus tout.
>Dahmane El Harrachi
Chercham, l’excellent élève
Né 1946 dans la casbah d’Alger, ce spécialiste du genre djed est considéré par Cheikh El Hadj M’hamed El Anka — dont on connaissait la rigueur, le sérieux et les exigences — comme un de ses meilleurs élèves, avec Hacène Saïd et Amar El Achab. Dépanneur-mécanicien dans le « civil », Chercham a vite fait d’endosser les habits de maître du chaâbi, grâce à sa persévérance et à l’« assistance » poétique du grand Hadj Braïhiti. Titulaire de plusieurs prix, dont un décerné en juin 1970 par le conservatoire municipal de musique et de déclamation d’Alger, Abdelkader sait tout des finesses mélodiques et des subtilités poétiques du genre chaâbi, qu’il enseigne depuis 1972. Il appartient à l’univers des « puristes », et on lui doit de belles reprises d’El Anka et d’El Hadj Menouar ainsi qu’une magnifique version de El Harraz, chanson légendaire puisée dans le répertoire des artisans du malhoun marocain. Il demeure une des valeurs les plus sûres et les plus fiables du chant citadin populaire d’Alger.
Kamel, gènes de star
De loin comme de près, Kamel ressemble à Dahmane Amrani, dit El Harrachi (le créateur, en 1973, de Ya Rayah, devenu tube planétaire grâce à sa reprise par Rachid Taha), dont il est bel et bien le fils (aîné). Ce garçon aussi discret qu’efficace a presque le même jeu de mandole que son père, mais une voix moins rocailleuse. En 1991, Kamel, qui a pris le nom d’El Harrachi pour perpétuer sa mémoire, enregistre sa première cassette chez Afric-Audio à Douéra, dans l’Algérois, où l’on peut se délecter de deux titres inédits de ce dernier. Il poursuit, loin de tout tapage, une carrière musicale qui fait les délices de tout un public « underground ». Depuis quelques mois, il a, enfin, repris le chemin des studios et son premier vrai album, produit par WMD, le label de Beur-FM, paraîtra à la fin de l’année. On peut imaginer l’impatience de ses nombreux inconditionnels, tant son talent, sa maîtrise instrumentale et sa bonne tenue scénique sortent de l’ordinaire. En plus, il excelle dans tous les modes chaâbi.