C’est au début du xxe siècle que des poètes nommés fahsi (inversion du mot arabe fassih, « éloquent ») donnent naissance à la musique dite gharbi (ouest). Accompagnés par une flûte de roseau, gasba, et par une percussion, guellal, ils déclament leurs textes finement ciselés au cours de bastas (« soirées » en oranais), de leur passage dans les souks ou de festivités organisées par les autorités coloniales.
Dans les années 1930, le gharbi, futur raï alors encore estampillé folklore oranais, devient le style le plus apprécié du petit peuple, jusqu’à ce que les Cheikhâtes se l’approprient et y mêlent les prosodies des meddahâtes (louanges à Allah et au Prophète chantées par des femmes à un auditoire exclusivement féminin) à des airs plus libres, témoins de leur condition.
Accusées d’encourager le relâchement des moeurs, ce sont néanmoins les Cheikhâtes qui créeront la part la plus spontanée du raï. Cheikha Rabia, née il y a une cinquantaine d’années à Relizane, une ville moyenne de la plaine oranaise, tient ses premières notions de raï traditionnel de sa famille maternelle. A Alger, elle séduit un public pourtant acquis au chaâbi (populaire) de la casbah d’Alger. Arrivée à Paris en 1977, elle ne fera reparler d’elle que bien plus tard, lorsqu’elle se produit au Bédjaïa Club, haut lieu de la chanson maghrébine populaire du 18e arrondissement.
La Cheikha est une digne héritière des mères et pères fondateurs du gharbi. Sans jamais céder à une quelconque dérive, elle est restée telle qu’en elle-même : naturelle, émouvante, talentueuse… et forte de son raï qui fait aimer le raï.
Rabah Mezouane