Terminé
14 mai15 mai 2004

Le harem

Depuis le XVIe siècle et les récits de voyages des orientalistes, les mystères entourant la vie des femmes en Orient ont nourri l’imaginaire des Européens.
Le mot “harem” vient de “haram”, qui en arabe signifie “interdit”, “illégal” ou “protégé”. Le haremlik désignait en effet la partie des maisons où les femmes, les enfants et les serviteurs vivaient dans l’intimité. Ce lieu se distinguait du selamlik, réservé, lui, aux hommes. La toute-puissante mère du sultan régnait sur cette partie très bien gardée du palais. La vie de toutes ces femmes, de la plus humble servante à la première épouse du sultan, était régie par une étiquette très rigoureuse et placée sous l’autorité du chef des eunuques. Après chaque victoire des armées ottomanes, les gouverneurs des provinces nouvellement conquises envoyaient au sultan les plus belles esclaves issues des prises de guerre ou de familles modestes.
Jusqu’au XVIe siècle, les sultans ottomans n’épousaient que des princesses des familles régnantes des pays voisins. A partir du règne de Süleyman le Magnifique, ils se marièrent aussi avec d’anciennes esclaves éduquées dans le harem.A leur arrivée au sérail (le palais du sultan), les esclaves jugées suffisamment belles et intelligentes pouvaient être admises au harem. Leur ascension se faisait en fonction de leurs talents en musique, en chant, en danse… Les “élèves” les plus douées étaient même autorisées à suivre l’enseignement des plus grands maîtres de musique. La culture artistique des femmes du harem était très raffinée et reflétait le goût de la population ottomane pour la poésie et la musique. En effet, à partir du XVIIIe siècle, la musique classique commença à être appréciée par l’ensemble de la population d’Istanbul. Une nouvelle musique, inspirée de la musique classique mais plus légère que celle-ci, apparaît alors. Certaines de ces compositions vinrent enrichir le répertoire du harem. La “musique du harem” est donc une interprétation féminine de la musique savante au sein de ce lieu secret.
L’Ensemble des Femmes d’Istanbul, créé en 1992 par Kudsi Erguner, a repris le répertoire de la “musique du harem”. Le premier travail de cet ensemble a tout d’abord consisté à faire des recherches sur le répertoire, où les formes traditionnelles du fasl côtoient des formes musicales plus populaires, développées à Istanbul à partir du XVIIIe siècle. Le répertoire de la “musique du harem” est interprété dans un style proche de celui du fasl, qui se caractérise par une grande liberté d’ornementation pour les musiciennes et les chanteuses et une interprétation généralement assez enlevée. A l’intérieur de ce monde clos et structuré qu’était le harem, la musique représentait peut-être un espace de liberté et d’expression des goûts personnels.
Les chanteuses sont accompagnées d’instruments parmi les plus représentatifs de la musique ottomane, comme le qanoun, cithare trapézoïdale à vingtquatre triples cordes inventée au Xe siècle, le kéméntché, petite vièle à trois cordes propre à Istanbul ou le luth à manche court, l’instrument certainement le plus apprécié dans tout le Moyen-Orient.

D’après Kudsi Erguner