Terminé
02 décembre03 décembre 2005

La fine fleur de Khartoum

Avec Mohammed Wardi

À plus de 70 ans, le chanteur Mohammed Wardi, dont le patronyme signifie «ma fleur», est l’une des légendes vivantes de Khartoum. Au fil de sa longue carrière, qu’il a débutée dès l’âge de cinq ans dans l’île de Sawarda, au nord du Soudan, il a inspiré plusieurs générations de musiciens et a su capturer l’esprit des Soudanais dans toute sa diversité.

Pourtant, au Soudan, devenir chanteur relève de l’acte de bravoure. Sous les Omeyades et les Abbassides, la pratique artistique était réservée aux esclaves. L’opprobre s’abattait sur quiconque dérogeait à cette règle, contraignant parfois le réfractaire à l’exil. Un artiste était considéré comme fou, inapte à témoigner devant les tribunaux. Le métier de chanteur est aujourd’hui encore entaché de solides préjugés, que Wardi a bravés avec le succès que l’on sait.

Engagé et prolifique, son répertoire comprend plus de 300 chansons qui reflètent son attachement à sa Nubie natale, sa maîtrise de la langue nubienne riche de sept mille ans d’histoire et son amour de la poésie. Dans un pays déchiré par des guerres intestines,Wardi persiste à chanter la nation et le rejet de toutes les dictatures, ce qui lui a valu un long exil en Égypte – où il a écrit une de ses plus belles chansons, Ya baladi ya haboub (Mon pays, mon amour) – jusqu’à son retour triomphal au pays, en mai 2002.

En quarante ans de composition et de concerts, Wardi a su concilier tradition et modernité, Africains et Arabes, créant un style bien à lui qui s’appuie sur la gamme pentatonique. Accompagné sur scène par une basse, des violons, des cuivres et des instruments traditionnels tels que la lyre ou tanbûr, emblème musical du Soudan, ce chantre de la musique urbaine envoûte son public par sa voix douce-amère où les arrangements flirtent avec le jazz et la tradition. Un style musical qui n’est pas sans rappeler Le Blues de Khartoum d’Abdel Gadir Salim ou les chansons d’Abdel Karim Kabli.

Khartoum, capitale culturelle du monde arabe en 2005, nous envoie donc un ambassadeur émérite qui ne s’était encore jamais produit sur les planches de l’auditorium. Les rendez-vous sont pris!

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LA MUSIQUE NUBIENNE tient le rôle de frontière stylistique entre le Nord et le Sud. Curieusement, elle se singularise par un sens dynamique extrêmement mesuré, très éloigné du déferlement ou de la richesse rythmique de l’Égypte ou de l’Afrique noire. Cela n’empêche pas les Nubiens de faire parfois appel à des rythmes complexes, comme ceux, à sept temps, que l’on trouve chez les Shaygiyya ; mais ces rythmes se déroulent lentement et s’énoncent avec une sorte de bonhomie. C’est ainsi que s’écoule le tempo de la musique nubienne, au fil du temps, sans se presser, frisant la majesté. Cette musique, qui frappe aussi par sa simplicité et sa nostalgie, est essentiellement chantée, avec une voix qui tend à être de tête, donc aiguë, et qui souvent rappelle celle d’un enfant..