Encore aujourd’hui, le chaâbi, chant urbain algérois, continue de rythmer la vie des ruelles de la Casbah d’Alger, son berceau géographique, de certains quartiers de Mostaganem ou de Blida et des venelles de la haute ville de Tizi-Ouzou. Le genre, inauguré au début du siècle par Cheikh Mustapha Nador, qui a su capter et faire fructifier l’héritage du melhoun (poèmes chantés, d’origine marocaine), a connu ses véritables heures de gloire à l’aube des années 1930-1940 sous la houlette de Mohand Ouyidir Halo, surnommé El-Anka (le phénix).
Côté thématique, les textes parlent de l’amour du prochain et de l’amour tout court, de l’attachement à Dieu et de la nécessité d’une morale saine, tout en perpétuant la tradition orale : proverbes, maximes et fables foisonnent dans l’œuvre chaâbi. La diction affectée des classiques a été remplacée par des intonations vocales porteuses de tout ce que le discours cru hésite à rendre. Bref, voilà une musique audacieusement dépoussiérée et libérée de pas mal d’archaïsmes, prête à séduire un large auditoire, d’autant que son nom sonne bien : chaâbi, c’est à dire populaire.
El-Anka, virtuose du mandole qui a supplanté le luth, s’emploiera à la faire rapidement déferler dans les quartiers populaires et à la verser en « baume » à l’oreille du « petit peuple ». Le succès du chaâbi a été immédiat et, aux côtés du maître, émergeront des talents, tels que Chaïb Rezki dit Hadj M’rizek et Khelifa Belkacem.
Dans les années 1950-1960, le chaâbi affirme de plus en plus sa personnalité, conquiert son autonomie et d’autres artistes affluent pour grossir ses rangs. Citons pour mémoire El Mekraza, Hacène Saïd, Amar El Achab, Boudjemaâ El Ankis, Guerouabi, Amar Aït-Zahi dit Ezzahi, Hacène Larbi dit H’sissen ou Abdelkader Chaou. Bien des morceaux chaâbi ont été également adoptés par les tenants du courant judéo-maghrébin comme Reinette l’Oranaise, Blond-Blond, Luc Cherki ou René Pérez. Débordant les frontières, le chaâbi trouvera, au sein de la communauté immigrée, des relais efficaces en les personnes de Cheikh El Hasnaoui et Dahmane El-Harrachi, dont la chanson Ya Rayah est devenue internationale après sa reprise par Rachid Taha. Le spectacle El Gusto a également apporté une belle et solide contribution.
Cependant, peu de femmes ont chanté du chaâbi et c’est une bien belle idée qu’a initiée Mourad Achour, animateur sur Beur FM, que de réunir, pour le meilleur du répertoire du genre algérois, d’excellentes représentantes de la chanson maghrébine d’expression féminine, issues d’autres univers comme le rock, l’andalou, la world ou le jazz.
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