Terminé
20 mars 2014

Pour une critique de la raison orientaliste par Henry Laurens

L’orientalisme est avant tout une discipline historique. En s’appuyant sur la méthodologie des études historiques européennes, les orientalistes ont périodisé et structuré l’histoire des civilisations qu’ils étudient. Ils en ont aussi défini et classé les populations concernées. Ils fournissent ainsi aux premiers contestataires de l’ordre colonial l’imaginaire historique nécessaire pour constituer leur nationalisme.

C’est en lisant les orientalistes européens que les Turcs découvrent l’histoire millénaire de leur peuple venu de l’antique Touran, que les Persans deviennent des Aryens d’où l’adoption du terme Iran, que les Arabes apprennent qu’ils ont été les porteurs de la civilisation qui a précédé l’Europe et ainsi de suite. L’immense prestige du passé glorieux devient l’assurance que l’on a les moyens de restaurer son indépendance. Les idéologies nationalistes anticoloniales sont les héritières directes de l’orientalisme européen. Il suffit d’infléchir quelques traits pour disposer d’armes de combat prêtes à servir. Tous les matériaux nécessaires pour procéder à des inventions de la tradition sont fournis. Dans le système colonial, les orientalistes sont en général proches des milieux réformateurs qui cherchent à l’aménager sans le remettre en cause.

La première guerre mondiale, avec la mobilisation de toutes les énergies pour défendre la patrie en danger, accélère leurs transformations en experts. Ils deviennent des conseillers du prince dont les avis sont souvent écoutés. La France va le plus loin dans ce sens en créant sous le nom de politique musulmane une islamologie appliquée correspondant aux besoins de l’Empire colonial.

Agrégé d’histoire et diplômé d’arabe littéraire à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), docteur d’État, Henry Laurens est depuis 2004 professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe.

Débat animé par : Jean-Pierre Filiu, spécialiste du monde musulman, arabisant et professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Science Po Paris ; parmi ses nombreuses ouvrages, Je vous écris d’Alep : Au cœur de la Syrie en révolution (Éd Denoël 2013), Le Nouveau Moyen-Orient : Les peuples à l’heure de la révolution syrienne (Éd. Fayard 2013), Histoire de Gaza (Éd. Fayard 2012). Il a reçu le grand prix des rendez-vous de l’Histoire de Blois en 2008 pour son ouvrage L’Apocalypse dans l’Islam (Éd. Fayard 2008).