Terminé
10 juin 2010

Harîrî est-il l’auteur de ses Séances ?

Dans son Dictionnaire des hommes de lettres, Yaqout, grand admirateur de Harîrî (Basra, 1054-1122), rapporte dans le chapitre qu’il lui a consacré une histoire assez étrange. Cela se passe à Bagdad où Harîrî est “monté” afin de présenter quarante Maqamat ou Séances (récits picaresques d’une haute tenue littéraire) qu’il venait d’écrire, sur le modèle de celles composées par Hamadhani un siècle plus tôt. Les littérateurs bagdadiens sont favorablement impressionnés par la valeur de l’ouvrage, mais une rumeur ne tarde pas à se répandre et à s’amplifier, véhiculée par les “envieux” : Harîrî n’en serait pas l’auteur, il aurait trouvé le manuscrit des Séances dans une besace achetée au souk de Basra à des Bédouins qui s’étaient attaqués à une caravane et l’avaient pillée. Le plus curieux est que cette besace appartenait, toujours selon la version des envieux, à des gens de la partie occidentale de la terre (jirâbou ba’di-l-maghâriba). Harîrî nie s’être approprié indûment le livre, mais on lui demande de prouver sa bonne foi en composant une séance de plus. Il s’enferme chez lui pendant un mois, “mais n’arrive pas à réunir deux mots”. Sous les moqueries des Bagdadiens, il s’en retourne à Basra. L’histoire a néanmoins une suite et une fin heureuse : Harîrî compose dix séances supplémentaires, puis “monte” de nouveau à Bagdad, et alors on reconnaît de bonne grâce sonmérite et sa qualité d’auteur. C’est cette histoire que je me propose d’interroger et d’analyser. Entre autres choses, je tenterai de répondre à la question : Qu’est-ce qu’un auteur  ?

Abdelfattah Kilito est professeur à la faculté de lettres de Rabat, il a enseigné aussi à Paris, Princeton et Harvard. Il est l’auteur d’une dizaine d’essais, dont Les Séances ( Sindbad, 1983), l’Auteur et ses doubles ( Le Seuil, 1985), l’œil et l’Aiguille ( La Découverte, 1992). Son essai, Tu ne parleras pas ma langue, a paru chez Sindbad en 2008 et les Arabes et l’Art du récit en 2009. Dites-moi le songe est son dernier livre paru en 2010 chez le même éditeur. Abdelfattah Kilito a obtenu, en 1989, le Grand prix du Maroc et, en 1996, le prix du Rayonnement de la langue française attribué par l’Académie française.

Séance animée par : Kadhim Jihad Hassan, poète et critique littéraire irakien, professeur des universités à l’INALCO (Langues-O), Paris. Derniers ouvrages parus : La Part de l’étranger – essai sur la traduction de la poésie dans la culture arabe, éd. Actes Sud/Sindbad, Arles, 2007 et Le labyrinthe et le géomètre – essais sur la littérature arabe classique et moderne, suivis de Sept figures proches, éd. Aden, Paris, 2009.