L’Institut du monde arabe accueille Le Théorème de Néfertiti. Cette exposition est le reflet de la volonté de ses deux commissaires, Sam Bardaouil et Till Fellrath, d’interroger, voire de contester les méthodes de présentation avec lesquelles les œuvres d’art sont traditionnellement montrées. Incitant le public à devenir plus critique dans sa façon de regarder les expositions en général, ils l’invitent à réfléchir sur le processus de décontextualisation que subit une œuvre d’art déplacée à travers le temps et l’espace et à questionner l’appropriation dont celle-ci peut faire l’objet.
En d’autres termes, il s’agit-là d’une exposition à la thématique ambitieuse et conceptuelle, susceptible de passionner les connaisseurs comme aussi d’attirer le public beaucoup plus vaste des amateurs d’art, en général. En effet, l’exposition opère moult va-et-vient entre culture ancienne et contemporaine – de Ptolémée à Giacometti, de Van Dongen aux polychromies égyptiennes, en faisant un détour par Gilbert et George – et s’intéresse aux relations complexes qui existent entre l’œuvre, l’artiste et l’institution.
Qu’est-ce en fait que le théorème de Néfertiti selon les concepteurs de cette exposition ?... Eh bien, ce serait, tout d’abord, l’ensemble des mécanismes, ou encore, des circonstances, qui fait qu’un objet d’art, voire un simple objet, lorsqu’il est offert aux regards et, donc, placé en situation d’être vu, contemplé, admiré – dans un musée, dans une galerie , au sein d’une collection –, voit conséquemment son statut changer, advient à celui d’œuvre d’art, voire d’icône…
La magie de l’ostension, voire celle de l’ostentation, le simple fait d’être montré et d’être vu, d’être mis en valeur et observé, change la nature de l’objet exposé. Les conditions dans lesquelles cet objet est montré ou celles dans lesquelles il est contemplé, modifient, elles aussi, la façon dont il est perçu. Tout influe sur l’objet en situation d’être vu : les autres objets, les cartels, les textes, la lumière… Et la façon dont on le voit, le perçoit, change, elle aussi, selon les époques et les lieux… Le théorème de Néfertiti prend la mesure de ces changements.
On pense à Marcel Duchamp, bien sûr, s’emparant d’un urinoir et lui conférant, par là-même, le statut d’œuvre d’art. Car l’artiste, à l’évidence, est partie prenante des mécanismes invoqués précédemment. L’artiste, bien certainement, les lieux d’exposition et leur scénographie, comme on l’a dit plus haut, mais encore le public, dont le rôle est important, lui également. Ainsi le parcours proposé au visiteur de l’exposition, comportera trois parties, consacrées, dans cet ordre, à l’artiste, au musée, puis au public.
La partie de l’exposition consacrée à l’artiste se concentre sur les tendances formelles de l’artiste telles qu’elles peuvent être inférées, déduites, de l’exposition de ses œuvres. A cet égard, la spécificité de l’époque et du lieu dans lesquels advient la création de l’œuvre doivent être interrogées, permettant d’appréhender les processus de recherche et de réflexion qui sont ceux de l’artiste en quête d’un mode d’expression privilégié.
Celle consacrée au musée s’intéresse au contexte de présentation de l’œuvre. Elle décrypte les procédés visuels et textuels de détournement que peuvent subir les œuvres d’art de la part d’institutions dont les tentatives d’appropriation passent souvent par l’attribution de sens ou de fonctions qui ne sont pas forcément conformes aux intentions réelles de l’artiste.
La partie consacrée au public se réfère à différents épisodes connus, dans le contexte desquels des œuvres se sont trouvées acquérir une dimension telle – d’un point de vue matériel ou idéologique –, qu’elle vient à excéder largement le périmètre de l’atelier ou celui du musée, pour atteindre l’espace public.
Centrée sur l’Egypte, l’exposition présente des pièces des époques pharaonique, copte, islamique ; des œuvres modernes réalisées notamment par Honoré Daumier, Maurice Denis, Kees van Dongen, Mamdouh Muhamad Fathallah, Francis Frith, Alberto Giacometti, Georges Henein, Ida Kar, Paul Klee, Van Leo, Arman (Armenak Arzrouni), Lee Miller, Amedeo Modigliani, Mahmoud Mokhtar, Amy Nimr, Georges Hanna Sabbagh et Ramsès Younan ; des documents d’archives et des œuvres de nombreux artistes contemporains : Ghada Amer, Adam Broomberg et Olivier Chanarin, Mohamad Saïd Baalbaki, Taha Belal, Thomas Demand, Gilbert & George, Candida Höfer, Iman Issa, J & K (Janne Schäfer & Kristine Agergaard), Emily Jacir, William Kentridge, Susanne Kriemann, Little Varsovie (Balint Havas et Andras Galik), Maha Maamoun, Vik Muniz, Youssef Nabil, Xenia Nikolskaya, Lorraine O'Grady, Grayson Perry, Nida Sinnokrot, Thomas Struth, David G. Tretiakoff, Ai Weiwei, Ala Younis, Bassem Yousri.
Avant de l’être à l’Institut du monde arabe, l’exposition Le Théorème de Néfertiti a été récemment présentée au Mathaf, le musée d’Art moderne de Doha au Qatar, sous le titre Tea with Nefertiti. A son égard, le Quotidien de l’Art écrivait : « En prenant l'Égypte comme point de départ, les commissaires n'ont pas succombé à la tentation orientaliste de l’égyptomania ou aux clichés du Printemps arabe... Avec beaucoup de finesse, tout en tournant en dérision les clichés occidentaux, l'exposition tend un miroir aux revendications et paradoxes du monde arabe ».