Terminé
05 avril01 mai 2011

Le sujet du portrait

Photographies de Hugues Colson

Le sujet du portrait

C’est en 1998, alors que je séjournais à Fès pour la réalisation d’un projet lauréat de la Villa Médicis hors les murs, que j’ai commencé à constituer cette série de photographies sur l’iconographie royale.

Si ce principe d’assise du pouvoir par l’image des dirigeants n’est pas spécifique au Maroc, j’avais cependant été surpris par la multiplicité des déclinaisons de l’image du monarque, tantôt se referant à telle ou telle période de l’histoire marocaine, ou bien encore se calquant sur des postures illustrant différentes activités de la vie économique, sociale et religieuse du pays.

Ma démarche n’étant pas documentaire, l’intérêt n’était pas, par le biais d’un inventaire, de donner matière à une étude sémiologique de l’image du pouvoir
même si cette dimension existe implicitement dans mon travail. Je m’intéressais plutôt à tout ce qui gravitait autour du portrait du roi. A l’intérieur des échoppes, dans ces scénographies populaires, le télescopage des images, des objets et
du décorum créait une charge narrative et l’émergence de discours singuliers, révélateurs de l’imaginaire du peuple marocain et du dialogue qu’il entretenait avec ses souverains.

Il y a longtemps que le portrait du roi a cessé d’être une obligation et malgré cela il foisonne dans les échoppes, les cafés et autres lieux publiques. Peut-être est ce par respect de ce qui, avec le temps, est devenu une tradition. Mais lors des prises de vues, au cours des nombreuses discussions engagées sur la présence des monarques, je ne pouvais que m’incliner face à la candide évidence avec laquelle mes interlocuteurs légitimaient la place du roi dans l’intimité de leur vie quotidienne. On parle volontiers, et avec une tendresse certaine, du grand père, du père et du fils un peu comme s’ils faisaient partie de la famille. Ils voisinent avec d’autres objets et figures emblématiques de la culture marocaine en des assemblages disparates ludiques et théâtraux qui semblent témoigner d’un goût prononcé pour la légende. Légende dont l’histoire de la dynastie Alaouite ferait bien sûr partie.

Le hasard voulut que je me trouve au Maroc lors du décès de Hassan II. Une accréditation d’un hebdomadaire de Casablanca, « Le Journal », me permit de couvrir les obsèques. N’étant pas photographe de presse, non tenu aux images
officielles et ainsi disposant d’une grande liberté de mouvement, je m’attachais à traduire le climat de l’événement.

Je retrouvais ces mêmes portraits, précédemment photographiés comme fractions d’une histoire immobilisée, décrochés des murs et brandis par la foule. Arrachés à l’intimité nostalgique des intérieurs, ils étaient devenus les étendards d’un peuple qui traversait une période charnière de son histoire.

Mûrit alors le projet d’articuler ma «collection de portraits» en mettant en scène le processus du passage de l’intimité individuelle des intérieurs à l’ouverture, au hors cadre d’une éruption collective, passage d’une histoire contée à l’histoire « en direct ».

Au cours de ces dix dernières années, lors de mes fréquents voyages au Maroc, j’ai poursuivis ce travail, intégrant les nouvelles donnes d’un pays en pleine mutation. L’irruption des infrastructures, le développement de l’urbanisme, l’implantation
des nouvelles technologies ont propulsé le Maroc vers la modernité. L’iconographie monarchique s’est adaptée. Et bien qu’une partie du protocole traditionnel ait été conservée, certaines images utilisent tous les codes et les supports de la modernité.

Les 24 photographies exposées au café Littéraire sont extraites d’un corpus narratif d’une centaine d’images. Ne sont présentes ici que les images clefs, tonalités pour une évocation de la traversée de l’histoire marocaine sur trois générations.

Hugues Colson
huguescolson@yahoo.fr