Terminé
26 mars15 septembre 2019

A la plume, au pinceau, au crayon : dessins du monde arabe

Le musée de l’IMA présente une exposition inédite sur le dessin dans le monde arabe. A découvrir, une centaine d’œuvres issues de sa collection, récemment enrichie de la donation Claude & France Lemand. Ces dessins, pour la plupart figuratifs, datent du XIe siècle à nos jours, certains sont exposés pour la première fois.

Raconter une histoire

Dédier une exposition au dessin, c’est donner à (re)découvrir l’immense diversité d’un art tantôt monochrome, tantôt excessivement coloré, tantôt figuratif, tantôt informel, voire « abstrait » tel qu’on le qualifierait en Occident.

Pour donner la mesure de l’ancrage du dessin dans le monde arabe, le parcours se déploie sur trois des quatre niveaux du musée. Il inclut, outre les œuvres modernes et contemporaines de trois générations d’artistes, des dessins exécutées entre le XIe au XVIe siècle sur divers supports : papier (en feuille – mentionnons ceux d’époque fatimide trouvés à Fustât en Egypte – ou dans un manuscrit), cuir, textile ou céramique.

  • L’exposition débute à l’entrée du musée (niveau 7) avec un choix de dessins sur le thème : « Figures, portraits, autoportraits » qui appréhende l’individu, qu’il s’agisse de l’Autre ou de soi, dans une grande variété de manières et de styles.
  • Elle se poursuit au niveau 6 avec la présentation de l’ensemble des douze compositions à l’encre mêlant calligraphie et scènes inspirées à Dia Al-Azzawi (Iraq, 1939) par les poèmes antéislamiques appelés Mu’allaqât (les « Suspendues »), véritables odes à la bédouinité. Elles sont exposées à l’aplomb du cylindre  dans lequel, au sein du parcours du musée, ces poèmes sont déclamés.
    A ce niveau également, la Cité immortelle, une installation monumentale (2,90 x 6 m) de Kevork Mourad (1970), un artiste syrien d’origine arménienne installé aux Etats-Unis. A la confluence de l’écriture, du tissage et des architectures de Palmyre, Bosra et Alep, il a tracé au pinceau et au doigt une évocation symboliste de sa patrie sur de grands morceaux de papier suspendus par des cordes en trois plans successifs. Toujours au même niveau, l’espace dédié au sacré est scandé par des œuvres qui s'interrogent sur la condition de l'Homme et sa place dans la création (Hani Zurob, Abdallah Benanteur, Boutros al-Maari…).
  • Au niveau 5, l’exposition explore successivement la perception de l’espace naturaliste ou imaginaire – paysages et intérieurs –, le lien avec la calligraphie, et les supports autres que la feuille (carnets, cahiers à pages volantes, reliés ou en accordéon).

Faut-il rappeler que le papier est parvenu en Occident par l’intermédiaire du monde arabe ? Or, dans ce monde, le papier a constitué un support privilégié de l’expression de la pensée aussi bien religieuse que scientifique et littéraire.

Le dessin : une pratique millénaire dans le monde arabe

Dans le monde arabe, le dessin, qu’il soit ou non figuratif, n’est pas nécessairement soumis à une influence de l’Occident. Contrairement à la peinture de chevalet – une nouveauté apparue au XIXe siècle –, sa pratique y a été constante et s’appuie sur l’excellence des arts du livre, dont l’essor débute un millénaire plus tôt.

Faut-il rappeler que le papier est parvenu en Occident par l’intermédiaire du monde arabe ? Or, dans ce monde, le papier a constitué un support privilégié de l’expression de la pensée aussi bien religieuse (texte coranique, exégèse, droit musulman) que scientifique et littéraire. Il a permis aux sciences dites « arabes », car elles s’exprimaient dans cette langue, de prendre leur essor et de connaître une large diffusion. Les premières représentations figuratives connues (hormis les dessins de Fustât déjà mentionnés) apparaissent dans les traités manuscrits de sciences et de mécanique au XIe siècle.

Dans  l’art du dessin, la « rencontre » avec l’Occident n’est donc pas synonyme de rupture, technique ou stylistique, mais au contraire de continuité historique. L’art de la calligraphie et celui de l’enluminure, figurative ou non, continuent à irriguer l’art du dessin des artistes d’origine arabe, en plus d’une formation, pour certains d’entre eux, en Occident ou dans les Écoles des beaux-arts implantées dans certains pays du monde arabe – celle du Caire, par exemple, fondée en 1908. L’un des enseignements dispensés était l’étude d’après modèle vivant, qui y resta en pratique jusqu’à son abandon à l’aube des années 1980.

La perception du réel, l’appel à l’imaginaire ou le recours au signe poussant parfois jusqu’à l’abstrait, ce sont autant de manières que chacun explore à l’écoute de son passé et de son présent.

7 Dessins anciens du Musée :

Tapisserie au cavalier, Egypte, Ve-VIe siècle.
Un homme dévoré par un lion, Egypte, Fustât, XIe siècle.
Un homme portant un bonnet pointu, Egypte, Fustât, XIe siècle.
Alexandre le Grand en quête de l’immortalité, feuillet d’un Shâh-nâme, Iraq, Bagdad, XVIe s.
Une île sur la mer de Chine, feuillet d’un ‘Ajâ’ib al-buldân, Iraq, Bagdad, 2e moitié du XVIe s.
Carreau de revêtement aux palmettes, Syrie, Damas, 1555-1560.
Poupée d’un théâtre d’ombres, Syrie, Damas, fin du XIXe siècle. 

 

 

54 Artistes modernes et contemporains :

Shafic ABBOUD, Zeinab ABDEL-HAMID, Saïd AL-ADAWI, Etel ADNAN, ADONIS, Maliheh AFNAN, Fathi AHMAD, Yousef AHMAD, Mamdouh AMMAR, Farid AOUAD, ASSADOUR, Dia AL-AZZAWI, Ayman BAALBAKI, Georges BAHGORY, Taysir BARAKAT, Mahjoub BEN BELLA, Abdallah BENANTEUR, Mahi BINEBINE, Anna BOGHIGUIAN, Zoulikha BOUABDELLAH, Ali CHAMS, Ahmed CHERKAOUI, Fuad AL-FUTAIH, Abdel Hadi EL-GAZZAR, Ahmed HAJERI, Fatima EL-HAJJ, Bouchta EL-HAYANI, HIMAT Mohammad Ali, Rachid KORAICHI, Abdellatif LAABI, Miloud LABIED, Mohamed LEKLETI, Boutros AL-MAARI, Hussein MADI, Nja MAHDAOUI, Azouaou MAMMERI, Mohamed Sabri MANSOUR, MARWAN Kassab Bachi, Najia MEHADJI, Kevork MOURAD, Hamed NADA, NAGHAM Hodaifa, Ahmad NAWAR, Faysal SAMRA, Ihab SHAKER, Nabil SHEHADEH, Hussein TAÏ, Vladimir TAMARI, Moussa TIBA, Gouider TRIKI, Margot VEILLON, Fadi YAZIGI, Hani ZUROB.

 

 

Autour de l’exposition

Présentation des planches originales de Saison de Migration vers le Nord de Mohammad Omar Khalil, au niveau 4 du musée.

 

Saison de Migration vers le Nord de Tayeb Salih, est un roman classique de la littérature arabe dont la première édition paraît à Beyrouth en 1967. Son sujet : l’expérience de migration du Soudan vers l’Angleterre , du Sud vers le Nord, l’exil, l’écartèlement et la douleur qui accompagne le retour vers sa patrie. La même année Mohammad Omar Khalil, artiste soudanais s’installe à New York. Comme Salih, il choisi le déracinement. 50 ans plus tard, Khalil propose de revisiter le roman avec un regard artistique et intimiste, dans une série de 10 gravures. À travers l’esquisse d’un palmier, la courbe du Nil, son rapport personnel au roman de Salih évoque la valeur universelle du déchirement culturel et existentiel. La dualité temporelle resurgit dans le contraste de noir et blanc. Dans ce livre d’art, publié par Dongola, les gravures accompagnent une réédition du roman, dont la version originale en arabe est conçue par Reza Abedini. Y figure aussi une version anglaise d’occasion, indice de la mobilité du roman et son influence continue sur le flot des dialogues. Abed Alkadiri élabore le concept et le suit méticuleusement.

Ce projet est avant tout un lieu de rencontres, à la fois littéraire et visuel. Entre Khalil et Salih, bien sûr, mais aussi entre passé et présent, colonisateur et colonisé. C’est un hommage qui permet la redécouverte d’une voix importante venant du corpus de la littérature arabe et postcoloniale, dont le refus de comprendre le monde en termes de frontières définies et d’identités fixes résonne, dans le contexte global d’aujourd’hui.