Asma El Bakry ces dernières années n’était plus tout à fait de ce monde, mais c’est seulement le 5 janvier dernier que ses amis, ses admirateurs, les témoins de ses colères contre l’injustice, la bêtise et la laideur ont compris qu’elle les avait définitivement quittés.
L’amour d’une fille de pacha catholique et du fils d’un maître de confrérie soufie, l’avait fait naitre en 1947 au confluent de deux religions : c’est là qu’elle a choisi de rester pour bâtir son identité. Connaissant aussi bien le Coran que la Bible, les compilateurs de hadiths que les pères de l’église, la fille des Sakakini et des El Bakry refusait dans ces croyances tout ce qui aliène et opprime pour n’y vouloir trouver qu’un message d’humanité et la source où venaient s’abreuver les civilisations.
Sa culture dans le domaine sacré ou profane, en français ou en arabe, voire en anglais, était aussi considérable que sa capacité à s’indigner et à dire leurs quatre vérités aux puissants et aux hypocrites, d’une voix que l’on entendait de loin.
- Qu’avez-vous fait de ce pays ? Leur demandait-elle. Qu’avez-vous fait de la grande Égypte des pharaons, des Ptolémées, des Fatimides, des Ayyoubides et des Mamelouks ? Qu’avez-vous fait de l’Égypte de Mohamed Ali et de Saad Zaghloul ?
Car la passion qui la dévorait, c’était l’Égypte. C’est pour elle qu’elle se battait, c’est pour elle qu’elle se révoltait.
Aussitôt terminées ses études universitaires, Asma s’est tournée vers le cinéma. Elle y a fait tous les métiers avant de prendre elle-même la caméra. Son maître fut Youssef Chahine dont elle resta proche jusqu’à la fin de sa vie.
En 1990, un premier film de fiction, Mendiants et Orgueilleux, d’après un roman d’Albert Cossery trouve une large audience.
En 1998, Concert dans la ruelle du bonheur traduit à la fois sa passion pour l’opéra et son amour pour le petit peuple qu’elle tente avec beaucoup d’émotion de faire se rencontrer.
En 2004, Violence et Dérision trouve à nouveau son inspiration dans l’œuvre de Cossery
Pendant les années qui ont précédé sa mort, Asma cherchait désespérément des financements pour tourner Tante Safia et le monastère, d’après le livre de Baha Taher. Elle souhaitait y montrer une Égypte où chrétiens et musulmans vivent en paix, leurs croyances imbriquées.
Tout au long de sa vie – dès 1979 – Asma El Bakry a réalisé des documentaires dont les sujets sont : le Nil, la ville du Caire, le musée d’Alexandrie, les Fatimides, les Ayyoubides, les rois de l’ancienne Égypte. On y retrouve le même amour du pays que dans ses films de fiction, la même volonté de faire partager cet amour à une jeunesse qui en connaît mal l’histoire, la même indignation face à ceux qui le saccagent.
Le 1er juin dans l’Amphithéâtre de l’Institut du monde arabe, c’est donc de l’Égypte que nous allons parler, en même temps que de notre amie disparue. Nous l’évoquerons à travers des images inédites, des films, des témoignages, à travers aussi la voix de sa compatriote Amira Selim, une jeune soprano de talent qui chantera en son souvenir des airs d’opéra qu’elle aimait. Nous l’évoquerons également à travers vos témoignages, vous qui je l’espère viendrez nombreux vous souvenir avec nous d’Asma El Bakry.