Arabie saoudite : «La culture et les loisirs sont indispensables à notre qualité de vie»

Entretien avec Jacques-Jocelyn Paul, auteur de « Arabie saoudite. L'incontournable »

Publié par Brigitte Nérou | Le 22 Décembre 2016
Arabie saoudite. L'incontournable Jacques-Jocelyn Paul, Riveneuve éditions
Riveneuve éditions

Culture et loisirs : deux domaines que l'on n'a guère coutume d'associer à l'Arabie saoudite en première intention. Pourtant, le fin connaisseur du pays qu'est Jacques-Jocelyn Paul l'affirme : même dans un contexte de réduction drastique de ses ressources budgétaires, le Royaume demeure engagé dans une politique culturelle dynamique et s'est fixé des objectifs ambitieux en matière d'éducation et de recherche. C'est dans un environnement porteur que se déploient les équipes de la mission archéologique franco-saoudienne, avec des chantiers passionnants…

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L'ouvrage de l'économiste Jacques-Jocelyn Paul «n'est pas un livre d'actualité, écrit Antoine Sfeir dans sa préface à “Arabie saoudite. L'incontournable”, encore moins un livre d'histoire. Ce n'est pas non plus un essai ou un reportage. C'est tout cela à la fois!»

Arabie saoudite. L'incontournable Jacques-Jocelyn Paul, Riveneuve éditions Riveneuve éditions

Soit un fort volume (544 pages) charpenté en quatre grandes parties : Avant l'islam, Du prophète Mohammed à Ibn Saoud, le Royaume d'Arabie saoudite et Être Saoudien aujourd'hui, abondamment illustré et étayé de cartes, schémas, graphiques et citations. Un ouvrage taillé sur mesure pour « nous plonger dans l'histoire certes complexe mais passionnante de l'Arabie ».

Premier emprunt de son histoire auprès d'investisseurs internationaux, réduction de ses ressources budgétaires… : l'Arabie saoudite traverse-t-elle une crise économique historique? Qu'en est-il de sa politique sociale et culturelle en cette période de remous ? Réponses de Jacques-Jocelyn Paul.

Fin octobre 2016, l’Arabie saoudite a, pour la première fois, lancé un important emprunt sur les marchés financiers internationaux. Doit-on y voir un tournant majeur de son histoire ?

J.-J. Paul : C’est un événement doublement historique : l’Arabie a effectué son premier emprunt auprès d’investisseurs internationaux. Et elle a levé un montant record, jamais atteint par un Etat : 17,5 milliards de dollars. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’un tournant historique. L’Arabie demeure riche et courtisée par les investisseurs : la souscription finale à son emprunt aurait pu être deux à trois fois plus forte, si elle l’avait voulu.

En revanche, ce qui est bien un tournant, c’est le basculement stratégique, qu’illustre, parmi d’autres, cette mesure, et qui a été décidé en réaction au nouveau « contre-choc pétroliers » qui assèche les finances du Royaume.  

Les ressources budgétaires saoudiennes se sont fortement réduites (90 % des recettes de l’Etat proviennent du pétrole).  Les avoirs extérieurs (hors avoirs en or) de la SAMA [Saudi Arabian Monetary Agency, à la fois la banque centrale du pays et fonds souverain saoudien] ont été ramenés de 717 mds de dollars en  2015 à 562 mds à la fin du mois d’août 2016. Le déficit du compte courant a atteint 27,8 mds de dollars au premier semestre 2016. L’Etat a dû procéder à des émissions d’obligations sur les marchés financiers. Et la dette extérieure, autrefois absente, a commencé à apparaître. Un plan de rigueur est devenu nécessaire.

Arabie saoudite. L'incontournable Jacques-Jocelyn Paul, Riveneuve éditions Ammar Shaker
Dans le pays même, quelles conséquences se font et/ou se feront ressentir à moyen terme, à l’intérieur du pays lui-même ?

J.-J. Paul : Le ministère des Finances applique désormais une politique de la hache : les grands programmes non encore contractualisés ont été abandonnés ou repoussés sine die, notamment dans le secteur de la construction. Les retards de paiement étatiques ont augmenté dans tous les secteurs ; seules certaines dépenses opérationnelles et de sécurité intérieure ont échappé pour partie à cette rigueur.

Les tarifs de l’eau et de l’électricité avaient déjà été doublés en début d’années ; d’autres barèmes ont suivi dans un souci de « vérité des prix » ; les coûts des écolages des écoles privés croissent rapidement ; une politique de taxation plus agressive des visas, des infractions routières et des entités étrangères présentes en Arabie a été mise en place afin de multiplier les ressources budgétaires et para-budgétaires du pays et de réduire les subventions au secteur productif et aux ménages.

L’Arabie est depuis plusieurs mois affectée par une politique d’austérité qui ne dit pas son nom : hors alimentation, la consommation des ménages a commencé à vaciller, très fortement dans les biens durables et semi-durables. Le secteur du BTP est en récession. La crise économique est patente.

Au cours des prochains mois se feront sentir les effets additionnels d’une politique salariale exceptionnellement restrictive dans le secteur public : le 26 septembre dernier, l’Arabie a supprimé la plupart des bonus de ses ministres et de ses fonctionnaires et a réduit leurs traitements de base de 20 % en moyenne. 80 % des 20 millions de Saoudiens exercent des emplois publics : l’impact économique et social de cette mesure va être très violent au cours des prochains mois.


En matière d’éducation et de recherche, les objectifs du pays sont ambitieux. 27% des enfants de 3 à 6 ans devront être inscrits dans des jardins d’enfants d’ici à 2020 (contre 13% actuellement); le taux d’illettrisme sera divisé par deux et ramené à 2,5% de la population; l’accent principal portera sur le recrutement, la formation, le suivi de carrière des enseignants et sur la réduction du nombre d’élèves par professeur.
Jacques-Jocelyn Paul
La politique culturelle du Royaume est ou sera-elle concernée par ces mesures ? Qu'en est-il de l’éducation universitaire et de la recherche scientifique ?

J.-J. Paul : Certes, la baisse d’activité qui s’annonce rendra moins aisé le financement public de ces politiques fondamentales. Mais il n’empêchera pas la mise en place, et le succès, d’initiatives privées nouvelles et structurantes, emboitant le pas à celles de la fondation du prince al-Walid.
Car l’argent n’est pas tout : ce qui compte le plus dans ces domaines, ce sont la volonté, l’innovation et la persévérance, des critères à l’aune desquels le projet national intitulé « Vision 2030 » et sa déclinaison immédiate, le « National Transformation Program 2020 », doivent être considérés avec bienveillance.
« Nous considérons que la culture et les loisirs sont indispensables à notre qualité de vie » est l’un des slogans de la Vision 2030. De fait, les objectifs du pays sont clairs : la protection du patrimoine culturel et historique, saoudien, arabe et islamique ; la préservation de l’identité nationale et sa transmission aux générations futures ; la promotion et le soutien des activités culturelles. Des politiques sont déjà en place, qui ont adopté des rythmes annuels : ainsi, en février dernier le 30e Festival Culturel et Traditionnel de la Janadriyah a enregistré plus d’un million de visiteurs ; et, en Novembre, le Dr Adel al-Turaifi, ministre de la Culture et de l’Information, a inauguré le 5e Rassemblement des Auteurs saoudiens. Ces rencontres périodiques se poursuivront et seront relayées par d’autres évènements d’ici à 2020, le but étant de créer des emplois dans le secteur des médias et des industries connexes et de faire passer la part de leurs revenus dans le PIB saoudien de 17 à 42%.
Pour que la jeunesse dispose d’un tissu économique capable de l’accueillir, une ambition très forte devra aussi se manifester dans les hautes technologies. C’est l’un des préalables au développement d’un tissu productif adapté aux défis de l’avenir, qui se déploiera autour de la Kacare (King Abdullah City for Atomic and Renewable Energy), de la Kacst (King Abdulaziz City for Science and Technology) et de la très puissante Saudi Aramco. Il s’agit, entre autres, de multiplier par sept le nombre des brevets déposés par le Royaume, soit 5000 nouvelles licences d’ici à trois ans, de créer au moins 4000 emplois hyper-qualifiés dans des start-ups à adosser aux universités saoudienne et, parmi elles, de sélectionner et de développer plus de 800 entités de pointe. Nul doute que ces approches, prioritaires pour l’avenir du pays et de sa jeunesse, resteront bien financées au cours des prochaines années.

Mosquée Omar à Dumat al-Jandal Mjakhro
Qu'en est-il des missions archéologiques, la mission franco-saoudienne, notamment ?

J.-J. Paul : La Commission saoudienne pour le Tourisme et le Patrimoine national est très dynamique. A sa tête, le prince Sultan bin Salman bin Abdelaziz, un fils du roi qui, passager de la navette spatiale Discovery en 1985, fut le premier astronaute arabe. Son but est de développer le tourisme et les loisirs en Arabie. D’ici à 2020, l’objectif sera de porter le nombre de touristes à 82 millions de personnes (contre 64,5 actuellement) et de déployer un parc d’hôtels de 622000 chambres (447000). Il faudra aussi disposer de 241 musées (155), de 155 sites archéologiques (75), et de 28 sites répertoriés dans le patrimoine mondial (10).
C’est dans cet environnement porteur que se déploient actuellement les équipes de la mission archéologique franco-saoudienne, avec des chantiers passionnants, ouverts dans les régions de Dûmat al-Jandal, de Mai’den Saleh (« le Petra saoudien »), d’al-Kharj, de Najran et, plus récemment de Thaj. Les fouilles se multiplient avec l’aval bienveillant des autorités saoudiennes et, au vu des premières découvertes, il est à prévoir que leurs résultats passionneront bientôt la communauté archéologique mondiale.

Jacques-Jocelyn Paul, Arabie saoudite. L'incontournable, Riveneuves éditions, 2016, 38€. En vente à la librairie de l'IMA

 

Brigitte Nérou, rédactrice en chef du blog de l'IMA
Brigitte Nérou Avec plus de quinze ans d’expérience dans l’édition, Brigitte a rejoint l’Institut du monde arabe en 2003 comme secrétaire de rédaction du magazine Qantara . Elle prend à présent la... Lire la suite
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