Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida invite à découvrir la vie et la carrière des plus grandes artistes de la musique et du cinéma arabe des années 1920 aux années 1970.
Oum Kalthoum, Asmahan, Fayrouz, Warda, Dalida, Tahiyya Carioca, Samia Gamal, Laila Mourad, Sabah, Souad Hosni, Faten Hamama, ou encore Hind Rostom sont pour la première fois réunies et mises à l’honneur dans une exposition d’envergure.
Femmes du peuple ou issues de la grande bourgeoisie, orphelines ou exilées, musulmanes, chrétiennes ou juives, leur histoire est unique et témoigne de la diversité sociale et culturelle du monde arabe. L’exposition rend hommage à ces femmes puissantes qui ont contribué à transformer les arts dans lesquels elles ont excellé et ont permis à l’Egypte et au Liban de rayonner sur le monde arabe. Rompant avec les traditions, elles ont donné aux femmes une place alors inédite dans les domaines de la presse, de la musique, de la danse, du chant et du cinéma. Grâce à leur talent et leur charisme, elles menaient la foule, souvent masculine, jusqu’à l’extase lors d’un concert et le public retenait son souffle dans les salles de cinéma. Au-delà de leur génie artistique, elles ont incarné les idéaux de la société arabe et ont, pour certaines, défendues avec ferveur leurs positions politiques. Elles ont su tirer parti des évolutions technologiques du siècle, de l’avènement du disque, de la radio et du cinéma. Dépassant les frontières, elles ont conquis le cœur du public arabe, de Damas à Casablanca, de Paris à Alger.
Leur combat pour l'émancipation trouve encore un écho dans la création d’aujourd’hui. L'exposition se termine par des installations, pour la plupart inédites, de sept artistes internationaux qui témoignent de la pérennité de l’héritage des divas dans l’art et la musique contemporaine.
Grâce aux familles de ces divas, à leurs amis mais également à des collectionneurs passionnés, des œuvres uniques ont pu être réunies ici pour la première fois. En miroir du portrait intime et public de ces artistes d'exception, c'est une histoire politique, intellectuelle et sociale du monde arabe qui se dessine, interrogeant la place des femmes dans les sociétés arabes.
Au début du XXe siècle, l’Égypte connaît des transformations politiques, sociétales, artistiques et technologiques importantes. La Nahda (renaissance intellectuelle) est alors à son apogée et Le Caire est une ville cosmopolite au centre de l’activité artistique du monde arabe. Né au sein de la bourgeoisie, un mouvement s’opposant au colonialisme britannique souhaite rompre avec le passé, prône des idées nationalistes et rêve de modernité. Des femmes soutiennent activement ces soulèvements et engagent en parallèle d’autres combats pour faire avancer leurs libertés. D’autres ont un rôle déterminant dans la révolution artistique qui se joue. Premières femmes à monter sur scène, elles contribuent à l’apparition de salles de concert et de cabarets dans la capitale. Elles participent activement aux changements qui ont lieu dans la musique et sont au cœur de l’émergence d’un cinéma égyptien. Véritables pionnières, elles ouvrent la voie aux grandes divas arabes en tant qu’artistes mais aussi entrepreneuses et femmes d’affaire. Nous rendons ici hommage à leur talent et leurs actes visionnaires aujourd’hui tombés dans l’oubli.
Dans les années 1920 au Caire, des personnalités comme Hoda Chaaraoui, Ceza Nabaraoui ou Safia Zaghoul, luttent pour l’émancipation des femmes, tout en s’engageant dans les mouvements anti-impérialistes. Elles prennent positon dès 1919 en manifestant dans la rue contre la présence anglaise. Ces féministes issues de la bourgeoisie concentrent leurs actions sur les questions du voile, l’éducation, le droit de vote des femmes, la législation sur le mariage et le divorce. Certaines, comme la célèbre femme de lettres May Ziadé, tiennent un « salon » où intellectuels et politiques échangent. En laissant entrer les hommes dans l’espace privé, elles bouleversent les codes traditionnels. Journalistes, autrices, fondatrices de journaux, elles se servent de l’arabe, du français, plus rarement de l’anglais pour diffuser leurs idées. Les années 1920 sont celles des premiers dévoilements en public qui vont bouleverser la place du corps des femmes dans la cité.
À la fin du XIXe siècle en Égypte, les musiciens se produisent lors d’occasions particulières dans le milieu restreint de la bourgeoisie. Ces représentations de musique dite savante utilisent l’arabe classique et se basent sur l’improvisation. En 1906, une véritable révolution fait jour avec la naissance du disque 78 tours. La structure des morceaux se raccourcit pour s’adapter à ce nouveau support. Parallèlement, se multiplient des salles de concert appelées « casinos » dans les rues du Caire et la musique devient alors accessible à tous. Une véritable industrie, portée par des maisons de production, propose des genres plus divertissants. Les femmes, nouvelles actrices de la scène musicale, accèdent au statut de moutribat (chanteuse) et jouent un rôle important en interprétant une musique dite légère appelée taqtûqa. Tous ces facteurs contribuent à la mise en avant des chanteuses qui accèdent alors à la reconnaissance du public.
The Abûshady Archive
Plus connue sous le nom de Sett Mounira (Madame Mounira), la chanteuse enregistre ses premiers vinyles dès 1906. En ce début de siècle, elle donne de nombreuses représentations de musique savante dans les cafés chantants du Caire et les cabarets du jardin de l’Azbakiyya. Dès 1914, elle initie le passage vers des chansons dites légères (taqtûqa) qui rendent la musique plus accessible au grand public. En 1916, elle débute une carrière au théâtre et, grimée en homme, elle devient la première femme musulmane à monter sur les planches dans la pièce Saladin. Dans les années 1920, alors au faîte de sa gloire, celle que l’on appelle désormais la Sultânat al-Tarab (la Sultane du chant) est reconnue en Égypte et dans tout le Levant comme la chanteuse la plus célèbre de son temps.
Abboudi Bou Jawde
D’origine libano-syrienne, Badia Massabni, s’installe en Égypte où elle débute une carrière artistique. Véritable pionnière dans le domaine de la danse et des lieux de spectacle, elle ouvre à Alexandrie puis au Caire les premiers cabarets. En 1929, elle créé le très célèbre Sala Badia et forme à ses côtés une troupe de danseuses qui deviendront les grandes stars des comédies musicales dès les années 1940. Elle modernise les danses traditionnelles et définit les codes du style sharqî qui connaîtra un succès populaire au cinéma : vêtement faits en strass, en perles et en sequins, mouvements constitués d’arabesques et d’ondulations. En 1936, elle produit son film La Reine du music-hall qui inaugure l’ « âge d'or » de la danse dans le cinéma égyptien.
Abboudi Bou Jawde
Née au Liban, Fatma de son vrai prénom est une figure emblématique de la presse et du théâtre égyptien de l’entre-deux-guerres. Arrivée à Alexandrie à 12 ans, elle découvre le théâtre au Caire quelques années plus tard, d'abord comme costumière puis actrice. Elle devient rapidement la plus grande vedette du théâtre égyptien au sein de l’incontournable troupe Ramsès de Youssef Wahbi. En désaccord avec ce dernier, elle quitte la troupe et créé son salon intellectuel au Caire dans les années 1920. Elle fonde ensuite, en 1924, le célèbre magazine culturel et politique, le Rose al-Youssef qui, cas unique dans le monde, porte le nom d’une femme. Célèbre pour ses caricatures de presse, il devient très populaire et influent. Cet hebdomadaire s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui et ce malgré la mort de sa fondatrice en 1958.
Au début du XXe siècle, le théâtre chanté égyptien est un milieu très masculin. Les femmes y sont peu représentées et les acteurs et actrices sont souvent d’origine syro-libanaise, chrétienne ou juive. Mounira al-Mahdiyya est la première égyptienne musulmane à monter sur une scène de théâtre en 1916. En quelques années, plusieurs artistes féminines réussissent à défier la domination masculine dans le monde du divertissement. Accédant à un statut de vedettes, leurs photographies envahissent la presse et les affiches de spectacle les mettent en avant. Elles s’y présentent modernes et dévoilées. Dès le premier long-métrage entièrement égyptien, Laila, en 1927 (de et avec Aziza Amir), les liens avec le théâtre sont évidents : beaucoup de grandes pionnières du cinéma ont commencé leur carrière sur les planches. À ses débuts, le cinéma égyptien est porté par des entreprises privées où chaque vedette possède sa propre société. Les « actrices-productrices », Aziza Amir (Isis film), Assia Dagher (Lotus film), et Bahiga Hafez (Fanar film) sont alors des personnalités incontournables du milieu. En 1932, au moment de l’avènement du parlant, les films s’organisent, comme au théâtre, autour du chant.
IMA
Aziza Amir évolue dans un milieu cultivé et ouvre, dans les années 1920 au Caire, un salon littéraire où se réunissent des personnalités du monde des arts et des lettres. En 1925, elle se lance dans le théâtre et rejoint la troupe Ramsès de Youssef Whabi. Elle interprète plusieurs rôles jusqu’en 1935, date de sa dernière apparition sur les planches. Aziza Amir occupe une place centrale dans l’émergence du 7e art en Égypte en tant que productrice, actrice et réalisatrice. En 1929, elle est à l’origine du premier long-métrage égyptien, Laila, dans lequel elle joue le rôle principal. Elle participe à l’écriture du scénario et dirige les réalisateurs Wedad Orfi et Oustiphane Rousty. Le succès de Laila la pousse à créer sa propre maison de production, Isis films.
Abboudi Bou Jawde
Née au Liban dans une famille chrétienne, Assia arrive en Égypte en 1923. Très tôt, elle nourrit une grande passion pour le 7e art. C’est une jeune fille de dix-neuf ans aux yeux immenses, au teint clair et au port altier qui débute comme figurante dans le légendaire Laila. Ambitieuse, elle devient productrice en fondant en 1929 Lotus film. Un premier long métrage, La Belle du désert, voit le jour la même année, Assia le produit et tient le premier rôle. Elle joue dans plus de vingt films et c’est auréolé de gloire mais consciente des limites de son jeu, qu’elle met entre parenthèses sa carrière d’actrice. En tant que productrice, elle donne leurs chances, à sa nièce Mary Queeny et son mari Ahmad Galal, qui fonderont par la suite le célèbre Studio Galal. Ses succès lui vaudront la nationalité égyptienne. Son génie et sa sensibilité font d’elle la productrice la plus importante du pays dans les années 1960.
IMA
Issue d’une famille de l’aristocratie égyptienne, Bahiga Hafez est une des figures majeures du cinéma égyptien. En 1930, elle tient le premier rôle et compose la musique du film Zeinab de Mohammed Karim. Sa forte personnalité, ses talents de musicienne et de monteuse ainsi que ses connaissances du doublage la pousse à créer sa propre société de production Fanar films en 1932. Elle fait preuve d’une virtuosité absolue lorsqu’en 1937, elle mène toutes les étapes de réalisation du film Laila, fille du désert sélectionné pour participer au festival de Venise en 1938 : écriture du scénario, composition de la musique, dessin des costumes, interprétation du premier rôle. À la fin de sa carrière, les connaisseurs de la musique se réunissent dans sa maison qui devient un haut lieu culturel.
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