Yoriyas Yassine Alaoui, prix 2019 des Amis de l'IMA pour la Jeune création contemporaine arabe

Publié par Mouna Mekouar | Le 24 Décembre 2018
© Yoriyas Yassine Alaoui
Yoriyas Yassine Alaoui

Le photographe marocain Yoriyas Yassine Alaoui, 34 ans, est le lauréat 2019 du prix des Amis de l'IMA pour la Jeune création contemporaine arabe. Rencontre avec un (ancien) matheux danseur-chorégraphe pour qui « photographier, c'est comme chorégraphier ».

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Choisir un point de vue, définir les perspectives, les plans, ceux qui vont entrer dans le cadre, trouver le moment idéal pour prendre la photo, c’est comme si je chorégraphiais les mouvements des danseurs.
Comment est né votre intérêt pour la photographie ? A l’origine, vous étiez danseur.

Jamais je n’aurais imaginé devenir photographe ni danseur-chorégraphe ! J’ai fait des études de mathématiques et j’étais passionné d’échecs – j’ai commencé à y jouer à l’âge de cinq ans.
En 2000, alors que j’étais adolescent, je suis tombé littéralement amoureux du hip-hop, et j’ai commencé à danser avec des amis dans les rues de Casablanca. Puis nous avons fondé un groupe de break-dance, Lhiba Kingzoo, et nous avons été invités un peu partout dans le monde pour des compétitions et des shows. C’est au cours de ces voyages que j’ai commencé à prendre des photos. J’ai une mauvaise mémoire, et à ce moment-là, il n’y avait pas de GPS : quand je sortais de l’hôtel, je prenais des photos pour me souvenir de mon chemin, et j’ai continué à le faire pendant des années.
En 2013, à Stockholm, lors d’une compétition, je me suis gravement blessé à un genou. Les médecins m’ont interdit de danser pendant au moins six mois. C’était un sacré choc pour le danseur professionnel que j’étais devenu. De retour à Casablanca, je me suis senti démuni, inutile avec tout ce temps libre – avant l’accident, je m’entraînais cinq heures par jour avec ma compagnie. J’ai donc pris mon petit appareil photo, celui que j’utilisais pendant mes voyages, et j’ai commencé à marcher, marcher pendant des heures dans les rues de Casablanca. Je photographiais spontanément, sans deviner que la photographie allait devenir ma nouvelle obsession.

Quand on vous regarde photographier, vous donnez l’impression d’être entrain de danser. Selon vous, est ce que « photographier, c’est comme chorégraphier » ?

Tout d’abord, en ce qui me concerne, le passage de la danse à la photographie s’est fait tout naturellement. La danse a influencé ma façon de photographier – rapidité de réaction, rythme, sens des figures chorégraphiques, point de vue souvent au ras du sol qui est celui du hip-hop. J’ai pris progressivement conscience de cette manière si particulière de faire des photographies. Ce sont des amis qui me l’ont fait remarquer : je photographie comme si je dansais !
J’envisage mes compositions comme des scènes, et toute personne qui entre dans le cadre du viseur de ma caméra entre en scène. Choisir un point de vue, définir les perspectives, les plans, la lumière, les « acteurs », c’est de la chorégraphie. C’est pour cela que pour moi, photographier, c’est comme chorégraphier. Naturellement, le résultat est une photo ! Une photo faite par et dans le mouvement. Il me semble qu’il n’existe qu’une seule différence entre les deux domaines : mes photos ne sont pas mises en scènes, ce sont des moments vrais, alors que la chorégraphie est une mise en scène.

Yoriyas devant ses photos exposées à l'Institut du monde arabe, avril 2019 Yoriyas devant ses photographies, réalisées dans le cadre de sa résidence de trois mois à Paris et présentées pour la première fois dans les salles de l'exposition « Foot et monde arabe ». Avril 2019. Thierry Rambaud / IMA

Une photographie peut servir à voir, apprécier, penser et interroger une scène que nous n’aurions probablement pas remarquée si elle n’avait pas été capturée par une caméra.
Comment choisissez-vous vos sujets ?

Je ne les planifie pas, ce sont eux qui m’approchent. Lorsqu’un sujet me paraît intéressant, je prends le temps de le comprendre, de le suivre et de le développer pour raconter une histoire ouverte à différentes interprétations. Je cherche à traduire des situations inattendues, ces moments qui  
ne se produisent qu’une seule fois. Une photographie doit, selon moi, servir à voir, à apprécier, à penser et à interroger des situations que nous n’aurions probablement pas remarquées si elles n’avaient pas été capturées par une caméra.

Est-ce la danse, ou la photographie, qui vous permettent de parvenir à une telle proximité avec les gens ?

Ce sont toutes les disciplines que j’ai évoquées à la fois, particulièrement la danse. Mais la meilleure façon d’y parvenir, selon moi, c’est d’être simple, humain et de rester soi-même. Un exemple : j’ai consacré mon premier photo-documentaire à un jeune Tunisien, Zulu Rema, qui a perdu ses deux pieds quand il était petit. Comment entrer en contact avec lui ? Pas si facile. J’ai simplement décidé d’être sincère  et vrai en lui demandant son aide : « Je suis photographe débutant et si je réalise un travail à partir de ton histoire, cela pourrait m’aider à me faire connaître. » Il a accepté, et j’ai pu réaliser un reportage qui a été aussitôt publié dans le Guardian (2016). Puis la BBC m’a contacté pour réaliser un reportage télé.  
Par la suite, un producteur m’a contacté pour lever des fonds et aider Zulu Rema à obtenir des prothèses professionnelles adaptées à la danse. Grâce à ces prothèses, il a pu désormais se produire à l’étranger.

Une des grandes séries que vous avez réalisées s’intitule Casablanca not the movie. Pourquoi ?

Lorsque j’étais danseur et que je voyageais  avec ma troupe, à chaque fois que je disais :  « I’m from Casablanca », on me répondait :  « Oh, Casablanca, like in the movie ! » Cela m’a conduit à créer cette série, pour faire découvrir aux autres ma ville d’origine, ses habitants,  sa plage, son désordre et ses embouteillages, loin des clichés, des photos touristiques  et du film de Michael Curtiz. Cette série, c’est aussi un hommage à ma ville, qui est ma source d’inspiration.

Etre photographe, est-ce, selon vous, une attitude, une façon de vivre ?

Je ne peux plus sortir de chez moi sans mon appareil photo, c’est devenu une partie de mon corps ! Alors oui, être photographe, pour moi, c’est une façon de vivre.

Dans le cadre de son prix, Yoriyas Yassine Alaoui bénéficie d’un accueil en résidence de trois mois à Paris et d’une bourse pour réaliser une série de photographies inédites. Celles-ci seront présentées dans la prochaine exposition-évènement de l’IMA, « Football et monde arabe » (titre provisoire), du 10 avril au 21 juillet 2019.

© Yoriyas Yassine Alaoui Yoriyas Yassine Alaoui
Mouna Mekouar
Mouna Mekouar Diplômée de l'Institut national du patrimoine (conservateur, spécialité musées) et doctorante en histoire de l'art, Mouna Mekouar est commissaire d’exposition indépendante. Elle a collaboré comme commissaire associée à l’exposition Formes... Lire la suite
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