Yvan Wouandji, leader de l’équipe de France de cécifoot

« Sensibiliser pour changer le regard sur le handicap »

Publié par Brigitte Nérou | Le 17 mai 2019
Yvan Wouandji anime un atelier de sensibilisation au cécifoot à l'Institut du monde arabe, 16 mai 2019. © IMA
Le leader de l'équipe de France de cécifoot Yvan Wouandji anime un atelier-découverte à l'Institut du monde arabe, 16 mai 2019. IMA

Dans le cadre d'une journée « Foot, du sport au reflet de notre société » organisée à l'IMA par l'Union nationale du sport scolaire, 80 collégiens et lycéens ont été initiés au cécifoot le 16 mai dernier par la star française de la discipline : Yvan Wouandji, vice-champion paralympique 2012, ambassadeur des jeux de Paris 2024. Un jeune athlète (26 ans) qui travaille infatigablement, en sensibilisant à ce sport, à vaincre les préjugés sur le handicap.

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Ils sont assis sur les gradins du city stade installé sur le parvis de l’IMA à l’occasion de l’exposition « Foot et monde arabe ». Sages comme des images, eux d’ordinaire plutôt remuants : une quarantaine d’ados écoutent Yvan Wouandji leur raconter son parcours, son sport, son handicap. Des mains se lèvent : « C’est quoi votre poste ? Défenseur ou attaquant ? » « Vous voyez quand même les couleurs ? » « Vous avez toujours été aveugle ? » « Vous êtes d’où ? » (Y. Wouandji est d’origine camerounaise)… Il répond posément à toutes les questions. Puis, épaulé par un autre sportif de haut niveau, l’attaquant Didier Sohna (Kalkara FC, Malte), il se rend sur le terrain et y forme un cercle avec les joueurs en herbe, main dans la main. Chacun est équipé d’un masque. L’initiation au cécifoot peut commencer…


Il m’a d’abord fallu me familiariser avec le handicap, avec l’apprentissage de l’autonomie ; le sport est venu comme une suite logique dans mon développement.
Vous avez débuté le cécifoot au début de l’adolescence. Que vous a apporté cette discipline, à ce moment-là ?

Dans un premier temps, ça m’a déjà permis de me découvrir :  comme j’avais perdu la vue à l’âge de 10 ans, j’ai débuté le cécifoot en pleine phase d’apprentissage du handicap. Il m’a d’abord fallu me familiariser avec le handicap, avec l’apprentissage de l’autonomie ; le sport est venu comme une suite logique dans mon développement.
Le cécifoot m’a permis de prendre confiance en moi, de comprendre que j’avais mon mot à dire, que j’avais complètement ma place dans ce sport. J’ai aussi beaucoup appris au côté de mes coéquipiers non-voyants, qui étaient plus expérimentés que moi ; sur le terrain, mais aussi concernant le handicap. J’ai bénéficié de leur part d’une sorte de double formation : par-delà les entraînements et les matchs, ils me donnaient des conseils, de petits coups de main…
Ça m’a permis aussi de m’épanouir, d’éprouver du bien-être, et puis d’avoir une activité sportive, de pratiquer. Surtout, le foot m’a permis de grandir, de gagner en rigueur. Vous savez, quand on est non-voyant, on est obligé d’être carré, rigoureux. Un voyant peut se permettre de préparer ses affaires à la dernière minute. Mais pas nous : un non-voyant ne met pas forcément si facilement que ça la main sur ses affaires…

Vidéo : le « but de l'année » d'Yvan Wouandji (2015)

le regard des gens change quand on fait du sport à très haut niveau. Recevoir un trophée, ça fait toujours plaisir, et puis on bénéficie de la reconnaissance des médias. On prend une autre envergure…
Devenir sportif de haut niveau, qu’est-ce que ça a changé pour vous ?

C’est dans la continuité… Disons que ça m’a apporté davantage de reconnaissance de la part de mes coéquipiers, de mes proches – mes parents sont devenus de grands passionnés de cécifoot – de mes frère et sœur… Tous me suivent dans ma carrière, mes matchs, mes tournois.
L’avantage du football – ce n’est pas propre au cécifoot –, c’est qu’on y fait de nombreuses rencontres et qu’on voyage un peu partout dans le monde.
Quand on devient sportif de haut niveau, on est sollicité, reconnu pour ce qu’on fait, pour ses talents, ses performances. Le regard des gens change quand on fait du sport à très haut niveau. Recevoir des récompenses, des trophées, ça fait toujours plaisir, et puis on bénéficie de la reconnaissance des médias. On prend une autre envergure…

Celui qui vous a fait découvrir le cécifoot, c’est Julien Zéléla, professeur de musique à l’Institut national des jeunes aveugles. Vous considérez-vous à votre tour comme un « passeur » de la discipline ?

Oui, il y a un peu de cela, mais Julien Zéléla est beaucoup plus âgé que moi. Ce que je veux souligner à son propos, c’est qu’il fait confiance aux jeunes et qu’il cherche à les valoriser. Il m’a très vite tendu la main dès qu’il a vu qu’en face il y avait du répondant, de la sincérité, beaucoup d’envie. C’était mon professeur de musique, et il me disait : « Mais Yvan, toi qui parles tout le temps de foot, tu sais que tu peux en faire ? » J’avais « atterri » dans le handicap depuis peu, j’ignorais totalement l’existence de la discipline et c’est lui qui me l’a fait connaître. Puis j’ai commencé à me familiariser avec le ballon, avec la communication – parce que c’est important de se parler, comme on ne se voit pas – et j’ai commencé à jouer petit à petit ; cela fait plus de dix ans maintenant.


Le regard sur le handicap est encore complètement figé. C’est difficile pour vous de le mesurer, parce que vous n’êtes pas dans notre peau…
En promouvant le cécifoot, quel message souhaitez-vous faire passer ? Changer le regard sur le handicap ?

Tout à fait, et ce n’est pas si « bateau » que le propos en a l’air ! Car le regard sur le handicap est encore complètement figé. C’est difficile pour vous de le mesurer, parce que vous n’êtes pas dans notre peau : vous n’avez pas le même rapport aux gens au quotidien. Mais je peux vous assurer qu’ils nourrissent toujours de solides a priori sur le handicap et qu’ils font preuve de beaucoup d’ignorance. C’est important, que la sensibilisation se fasse, car son impact est réel : les personnes sensibilisées portent sur le handicap un regard bienveillant, ou au moins « mieux-veillant » que s’ils n’y avaient pas été confrontés. Et puis ils se rendent compte que le cécifoot, c’est sympa, ludique ; le temps d’échange avec les gamins, c’est du partage. Ils le retiendront ! Dans vingt ans, c’est sûr, ils en reparleront encore !

La pratique du cécifoot s’est développée, c’est certain : quand j’ai intégré le championnat de France, il y avait six équipes ; aujourd’hui, il y en a dix. Et puis des événements de sensibilisation, il y en a bien davantage. Mais ce n’est encore qu’une goutte d’eau, comparée aux besoins…


Tout est encore à faire dans la discipline : il y a un socle, c’est vrai. Mais il y a encore besoin d’aides financières pour organiser des tournois et des stages. Si on veut que les joueurs parviennent au top dans les compétitions internationales et nationales, il faut qu’ils puissent jouer, répéter, et répéter encore…
Quelle est la position de la Fédération française de football (FFF) vis-à-vis du cécifoot ?

L’équipe de France de cécifoot dépend de la Fédération française handisport (FFH), qui n’a rien à voir avec la FFF. Nous aimerions bien sûr en dépendre, ou du moins que la FFF nous donne un coup de main sur les équipements, qu’il y ait des rencontres entre joueurs, un temps d’échange, pourquoi pas un entraînement en commun…

Diriez-vous que les actions menées par la France vont globalement dans le bon sens, ou qu'il y a encore un sacré chemin à parcourir pour que le cécifoot y trouve sa place ?

Le cécifoot se développe en France depuis trente ans. Il est beaucoup plus développé dans d’autres pays, notamment au Brésil (c’est là qu’il a vraiment pris son essor), en Argentine, plus généralement en Amérique du Sud. Actuellement, la meilleure équipe de cécifoot nationale, c’est celle du Brésil, et de loin ! La discipline figure aux jeux paralympiques depuis 2004, et ils ont tout gagné ! 2004, 2008, 2012, 2016 !
Le cécifoot s'est aussi pas mal développé en Espagne, ainsi qu’en Asie et en Afrique, de plus en plus… Ce développement pour de nombreuses raisons : on se rend compte qu’à travers le football, on peut réussir, même avec un handicap. Et puis gouvernements, instances et fédérations prennent conscience que cela peut constituer une solution pour les personnes non-voyantes qui n’ont pas forcément d’autres activités que de faire du sport. En outre, les Etats valorisent ainsi leurs athlètes tout en se valorisant eux-mêmes.
Pour en revenir à l’équipe de France, nous préparons actuellement le championnat d’Europe, qui aura lieu en septembre 2019 à Rome (16 équipes : les trois qui monteront sur le podium seront qualifiées pour les jeux paralympiques de Tokyo 2020). Et dans le prolongement, bien sûr, les jeux de Paris 2024, tournoi dans lequel l’équipe de France est naturellement qualifiée.
J’ai la chance d’avoir été nommé ambassadeur des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. J’espère bien sûr que la France gagnera le tournoi de 2024. Mais surtout, que notre participation permettra de faire comprendre à des instances telles que la FFF que nous méritons d’être accompagnés ; nous espérons que le grand public le découvrira également.
Car ce qu’il nous faut, ce sont des infrastructures, davantage de terrains sur lesquels évoluer, davantage d’aides pour acheter des ballons : un ballon de cécifoot, comme il y a peu de pratiquants, est plus cher (45 euros) qu’un ballon classique. Il faut aussi que les entreprises accompagnent davantage les non-voyants dans leur pratique, qu’il y ait plus de sponsors, que des marques s’y fidélisent, que des investisseurs s'y attachent.
Tout est encore à faire dans la discipline : il y a un socle, c’est vrai, en train de grandir, de plus en plus d’équipes, de personne qui découvrent le cécifoot. Mais il y a encore besoin d’aides financières pour organiser des tournois et des stages. Si on veut que les joueurs parviennent au top sur les compétitions internationales et nationales, il faut qu’ils puissent jouer, répéter, et répéter encore…

Brigitte Nérou, rédactrice en chef du blog de l'IMA
Brigitte Nérou Avec plus de quinze ans d’expérience dans l’édition, Brigitte a rejoint l’Institut du monde arabe en 2003 comme secrétaire de rédaction du magazine Qantara . Elle prend à présent la... Lire la suite
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