Dans l'œuvre de Tony Gatlif, toutes les musiques ont droit de cité : du flamenco au rock, de la musique soufie à l'électro et jusqu'au rebétiko qui enchante son dernier film, « Djam » (2017). Même le classique ? Nous lui avons posé la question…
La musique classique arabe, je l’ai découverte sur le tard. J’avais été élevé dans de la musique de fête, brutale, sauvage – la guitare flamenca, ça fait du bruit ! C’est par le biais du soufisme que j'y suis venu. Tony Gatlif
La musique orientale, je l’ai découverte quand j’étais enfant, à travers ses plus grands noms – Mohamed Abdel Wahab, Oum Kalthoum, Farid El Atrache, plus tard Marcel Khalifé… Et c’est par ce biais que j’ai pénétré une musique plus classique. Jeune homme, de la musique classique occidentale, j’en écoutais tout le temps. Mozart tout d’abord, qui à mes yeux était une incarnation de la modernité, « classique » ou pas. Puis, vers 18 ou 20 ans, alors que je commençais à réfléchir sur le cinéma et que je découvrais le domaine du scénario, j’ai découvert Tchaïkovski, que j’écoutais en boucle dans ma chambre. Et puis, à la fin des années 1970, par le biais de Tarkovsky, d’autres Russes. Je dois aussi citer Carmina burana – il y a quelque chose de fou, là-dedans, comme dans le flamenco. Dans les années 1980, avec Mario Maya, un danseur et chorégraphe originaire de Grenade, nous avons même eu le projet d’associer les Carmina burana (c’est Mario qui les avait découvertes avant moi, il était mon aîné) à un spectacle de flamenco qu’il était en train de monter.
Je l’ai découverte sur le tard. J’avais été élevé dans de la musique de fête, brutale, sauvage – la guitare flamenca, ça fait du bruit ! C’est par le biais du soufisme qui j’y suis venu ; j’ai d’ailleurs réalisé un film avec la musique soufie de Haute-Egypte de Cheikh Ahmad al-Tûni. Et mis en scène au Festival de musique sacrée de Fès, il y a cinq ans, un spectacle-concert sur Omar Khayyam, l’occasion de faire monter sur scène toute sorte de musiciens venus d’Orient, d’Iran, d’Ouzbekistan, d’Egypte…
Vous savez, je travaille doucement. Je ne me fixe pas de but en partant d’une idée précise que j’aurais en tête et que je développerais – je n’aime pas tellement le « cinéma d’idée ». Ce qui m’amène un jour à réaliser un nouveau film, c’est plutôt de l’ordre de la sensation. Et il se trouve que ce qui me préoccupe beaucoup aujourd’hui, c’est cette sorte de « fin du monde » dans laquelle nous nous trouvons. Cette course à l’argent, à la consommation, cet affolement du politique et du religieux ; c’est comme si nous étions parvenus au bout d’une logique…
Quand j’avais quatre ou cinq ans, on s’éclairait tous à la lampe à pétrole et à la bougie. On avait très peu de choses, presque rien – pas de shampoing, par exemple ! Pas de poubelles, pas de sacs en plastique, pas de gâchis – on réutilisait tout, on recyclait. C'est entre autres ce domaine-là qui m'inquiète profondément aujourd'hui. Nous fabriquons presque une tonne de déchets par an et par personne, alors que nous sommes des milliards : c'est énorme ! Cette surprodution de nourriture, de choses qui ne servent à rien, ça fait peur.
Et puis ces guerres qui s'allument ici et là pour des raisons stupides, comme s'il s'agissait de gamins en train de se chamailler : « Vas-y, si t'es cap! » Quand j'étais enfant, on jouait beaucoup aux Indiens – on était des Indiens – , moi et un ami qui était un peu fou, audacieux, capable de tout (moi aussi j’étais un peu dingue, mais moins). J’avais construit un arc avec du bois vert d’olivier qui est très souple, et une flèche avec un clou au bout ; ça fonctionnait très bien. Voilà qu’un jour, mon copain avait l’arc et la flèche en main, et je lui fais : « Vas-y, tire, si t’es un homme ! » Il a bandé l’arc et il a tiré la flèche. Elle s’est fichée dans ma joue, juste sous l’œil, dans le cartilage. Aujourd’hui, c’est un peu la même chose entre le Coréen et l’Américain, avec le second qui dit au premier : « Tire si t’es un homme ! »
C’est cette indignation-là qui donne envie de faire un film, parce que cette situation est complètement dingue. Et puis le cinéma, si tout était beau, ça ne servirait à rien. Sauf à faire un film rigolo…
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