« Force, subtilité, puissance, raffinement, pudeur… » : un vibrant hommage à la personnalité d’Etel Adnan et à son œuvre, par Sébastien Delot, commissaire de l’exposition consacrée par l’IMA à la grande artiste libanaise.
Etel Adnan a connu différentes histoires qui résonnent avec force aujourd’hui. Elle plaît à rappeler que son père était officier du temps de l’Empire ottoman, qu’il fut le camarade d’Atatürk. Dans Ismyrne, le très beau film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige où elle partage avec la réalisatrice le poids de leur histoire commune – la famille de Joana est comme la mère d’Etel originaire de Smyrne (Izmir) –, Etel Adnan évoque le temps où à Smyrne cohabitaient différentes communautés, sa mère chrétienne, son père musulman puis, après l’effondrement de l’Empire ottoman, son père considéré comme « traître » par les chrétiens, sa mère comme « traîtresse » par les musulmans, leur décision de s’installer à Beyrouth…
Etel naviguera entre ces deux cultures sans jamais appartenir totalement ni à l’une ni à l’autre. Elle est élevée en français – qui n’est la langue maternelle d’aucun de ses deux parents –, parle arabe et grec mais « pas suffisamment bien », fait des études à la Sorbonne au tournant des années 50 puis part aux Etats-Unis. A travers cette liberté, qu’elle a conquise, transparaît sa forte personnalité. Et dans son œuvre, toute la complexité des relations internationale et de l’histoire politique et par-delà, le poids des histoires que chacun porte du fait de sa famille, de ses origines.
Une œuvre qui n’a pas pris une ride. Son travail, au contraire, est d’une acuité d’autant plus forte et visible que certains combats d’hier ont certes été gagnés, mais que la lutte pour davantage de tolérance est plus que jamais d’actualité…
La force et la singularité de son œuvre, je les ai tout d’abord perçues à travers ses écrits, qui ont été mes premiers points d’accroche ; particulièrement Sitt Marie-Rose, qui figure aujourd’hui en bonne place au programme des Arab studies des universités américaines comme un livre « à avoir lu ».
Etel Adnan est une poétesse, une écrivaine, une passionnée de littérature, une femme d’une immense culture. Une femme aussi qui synthétise différentes époques et dont l’œuvre est porteuse – avec toute la modestie qui la caractérise –, de points de repère, de réflexion, d’une manière de contempler le monde. Ce n’est pas une œuvre démonstrative ; elle tout en pudeur, en raffinement. C’est une œuvre vibrante, forte et belle, qui vous habite. A l’image de son écriture : pas de formules alambiquées, mais des phrases percutantes, comme autant de vérités universelles qu’elle partage avec ses lecteurs. Avec des mots simples mais puissants, elle est capable de partager des émotions universelles, susceptibles de raisonner différemment en chacun de nous selon notre propre histoire.
Toute l’œuvre d’Etel Adnan est vibrante, et notamment ses leporellos, ces grands livres accordéons sur lesquels elle s’est mise à dessiner ou écrire des poèmes et où image et texte se rencontrent souvent ; des œuvres très évocatrices de cette dimension constitutive de la culture arabe qu’est l’importance du texte, du livre, de la poésie.
C’est aussi dans la part littéraire de son œuvre que transparaît le plus la question du dialogue des cultures, particulièrement dans les poèmes qu’elle a mis en images avec le format des leporellos, développant pour ce faire tout un vocabulaire à la frontière de la calligraphie et de l’abstraction. Etel Adnan est une femme universelle.
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