19/05/2015, 15h17 : Aujourd’hui, j’ai donné rendez-vous au street artist « engagé » Combo dans un café proche de sa dernière effraction urbaine rue Oberkampf, à Folks & Sparrows, pour apprendre à le connaître, mettre des mots sur ses motivations personnelles et comprendre ce qui l’a poussé à se tourner vers la rue pour exprimer son art, sans entraves. Sans foi ni loi, il est né à Amiens d’un père libanais chrétien et d’une mère marocaine musulmane. « La religion n’était pas très présente à la maison. Je suis athée, agnostique ; je ne sais pas trop, ça dépend des jours. Peut-être que je finirai par être croyant. ». C’est à 16 ans, à Nice, qu’il a pris goût à la peinture illégale, aux graffitis et collages « sauvages »… « J’avais une prof de français exécrable qui avait pour habitude de punir tout le groupe pour la faute d’un seul élève. On avait repéré sa voiture devant le lycée et décidé de se venger à l’aide d’une bombe de peinture avec des copains ; sa voiture n’était plus là le jour où on envisageait d’agir donc on s’est rabattu sur les murs du quartier et on a découvert un outil qui était parfait pour nous qui adorions dessiner ! On a commencé par développer un crew et on a voyagé… ». Aujourd’hui le crew s’est éclaté ; certains ont arrêté et d’autres ont pris des chemins artistiques différents…
Le circuit de l’art officiel le dégoûte un peu, il préfère avoir un accès direct avec ses regardeurs et se situer dans la zone « grise » du marché de l’art, entre reconnaissance et rejet, participer à ce questionnement permanent sur l’interdit et contribuer au décloisonnement du milieu. Pour l’anecdote, il s’est fait renvoyer après une année passée aux Beaux-Arts de Nice… « Mon rythme de vie ne me permettait pas d’être un élève assidu ; impossible pour moi d’être en cours à 10h après une nuit passée à tagguer dans les rues… Et puis je n’étais pas forcément disposé à rentrer dans le moule pré-établi de l’école donc ils m’ont gentiment poussé vers la sortie. J’ai accepté, je n’ai pas trop résisté... ». Suite à cet épisode révélateur, il a poursuivi des études en communication, mettant sa carrière artistique entre parenthèses pendant 2 ans. Master en poche, direction la capitale. Il a travaillé quatre ans dans le secteur de la publicité et depuis 2012, il passe tout son temps, ou presque, à marquer des murs un peu partout dans le monde, de LA à HK en passant par Beyrouth, Tchernobyl et Tel-Aviv, sans oublier Paris. Il a plusieurs casquettes ; il en aura de nouvelles certainement dans les années à venir. Il fait parfois des pauses et jongle avec de « vrais métiers » dans la communication, sa spécialité, histoire d’autofinancer ses (ré)créations…
Il collabore en ce moment avec la marque parisienne de prêt-à-porter masculin Cavalier Bleu. « Etre artiste, ce n’est pas un métier. Aujourd’hui je n’ai plus de tableaux à vendre ou de choses à échanger pour gagner ma vie. Je n’ai aucun problème à collaborer avec des marques commerciales ; c’est une autre façon de s’exprimer. « Business » et « art » ne sont pas antinomiques et je me refuse à faire une seule et unique activité toute ma vie. En France, la vraie problématique qu’on a n’est pas en lien avec ce que les gens font mais le rapport qu’ont les gens avec l’argent. On a une vision de l’artiste un peu bohème qui ne côtoie pas le monde marchand mais on devrait plutôt s’intéresser à ce que l’artiste pourrait faire avec l’argent issu d’une collaboration commerciale. Prenons l’exemple d’Akhenaton et la pub Coca-Cola dont tous les bénéfices sont reversés à des associations ; je trouve cette manière de faire très respectable. ». Sans étiquette politique, Combo est connu pour des pensées courtes et percutantes tagguées sur des bâtiments choisis au préalable ; des dialogues entre des personnages fictifs – croyants et pratiquants –, et des passants à propos de thématiques brûlantes telles que la laïcité, le racisme, le nucléaire, la censure, la légalisation de la drogue ou encore les organisations terroristes, toujours à visage découvert. Seuls son prénom et son patronyme sont protégés au nom d’une plus grande liberté d’action, en toute sécurité. « Ca peut être cool et plus prudent de se cacher mais n’ayant pas d’étiquette politique et étant fier de ce que je fais, j’ai réalisé que je n’avais aucunes raisons valables de dissimuler mon visage. Et comme je voyage beaucoup et que mes actions s’inscrivent dans un art politique, c’est important que les instances gouvernementales et mes regardeurs puissent m’identifier ; si je me faisais arrêter, je pourrais éventuellement bénéficier de plus de soutien depuis la France et ailleurs. ».
Les murs de Paris n’ont plus de secrets pour lui. Le travail fastidieux du repérage n’a plus lieu d’être pour afficher le bon message sur le bon support, au bon endroit… Une certaine poésie et légèreté se dégagent de ses différentes apparitions bien que le message et les juxtapositions d’éléments puissent en gêner certains (Rendez-vous sur le compte Instagram de l’artiste pour vivre en mouvement quelques injures et remarques gratuites encaissées). Plus ça gêne et plus le travail accompli est réussi, évidemment. Certaines de ses œuvres restent, d’autres sont saccagées, voire effacées. Il le vit bien, ça fait partie des règles du jeu de la « disruption » après tout. Suite aux attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, Combo a utilisé son personnage français musulman, « Mohamed » du projet Jih’art qui est né à Beyrouth (Liban), pour accompagner quelques fois son slogan “CoeXisT" dans les rues de Paris ; les symboles des trois religions monothéistes cohabitent dans ce message œcuménique (le croissant de l’Islam pour le C, l’étoile de David pour le X, et la croix chrétienne pour le T). Mohamed tient compagnie à ce message de paix pour dérider l’atmosphère et surtout éviter l’amalgame « foi musulmane = terrorisme et intolérance » en France et au-delà…
Victime d’une agression lors de l’une de ses échappées nocturnes « CoeXisT » en début d’année, il a choisi de médiatiser l’affaire pour dénoncer les attaques faites à la liberté d’expression. Le lendemain matin de son passage sur le plateau du Grand Journal de Canal +, le président Jack Lang lui a envoyé un sms de soutien et l’a invité à réaliser une opération guérilla sur le parvis de l’IMA qui consistait à distribuer 500 affiches « CoeXisT » et les coller dans la capitale à la guise des citoyens volontaires qui ont répondu présents ce jour-là, le 8 février 2015. Ses pensées « No imam, no cry », « L'habit ne fait pas le moine. Et la barbe ne fait pas l'imam », « Pour vivre heureux (hébreux), vivons cacher », « Love is blind and religion can blind us » font partie de celles qui sont le plus appréciées et partagées sur les réseaux sociaux. Un nouveau personnage fictif a fait son apparition dans ses collages à Paris, un français juif prénommé Moshe ; il vient tout juste de faire son aliyah et il manque terriblement à son ami musulman Mohamed, resté en France… « Reviens à Paris, promis j’ai changé. J’ai rasé ma barbe » était l’un des premiers slogans placardés lors de son dernier voyage à Tel-Aviv. C’est un message qui s’adresse aux français de confession juive ayant quitté la France par peur des musulmans ; la naissance de Michel, le français catholique, ne devrait plus tarder… Ce projet sur la coexistence des religions connaît aujourd’hui quelques ramifications ; il se développe pour le bien commun. La « Vénus de Clichy » de Combo égaye l’un des murs du Ministère de la Culture et de la Communication depuis un peu plus d’un mois ; c’est très beau, dans tous les sens du terme… Un appel à projet pour « Clichés », la dernière entreprise du principal intéressé qui œuvre à célébrer la différence dans tout ce qu’elle exprime : « Je cherche des modèles hommes et femmes à Paris pour une série de portraits, de tous âges et origines confondus, de préférence des gens dont les physiques trompent les entourages sur leurs origines. Si vous êtes intéressé(e), écrivez-moi à contact@combo-streetart.com, avec une photo, et je reviendrai vers vous pour vous expliquer les modalités et les motivations de mon projet. ». A l’heure actuelle, il a reçu une cinquantaine de candidatures et a déjà réalisé une dizaine de portraits.
En parallèle, il collabore avec des associations, notamment avec la maison de quartier des Aunettes ou encore avec SOS Racisme ; Combo s’est d’ailleurs déplacé avec une délégation spéciale de cette dernière association en Tunisie suite à l’attentat du musée du Bardo. Il était très tenté de laisser quelques messages par-ci par-là mais il est resté silencieux par manque de temps et par respect aussi… A son contact, j’ai senti quelqu’un de très humain et réfléchi qui préfère prendre des coups et tenter de relayer des informations positives, avec humour et style, plutôt que de rester les bras ballants et attendre que les choses se passent, avec pour effigie la télé et compagnie… « Hier j’ai passé la soirée chez SOS Racisme qui accueillait une équipe judéo-arabe israélienne originaire du village arabe Abou Gosh. Quinze jeunes musulmans et juifs sont venus en France pour une semaine de rencontres et de matches avec des jeunes parisiens. L’équipe compte des adolescents arabes et musulmans mais aussi des juifs éthiopiens, ou originaires d’Europe de l’Est, âgés de 15 à 18 ans. C’est dommage qu’on ne communique pas plus sur cette initiative qui vise à promouvoir la tolérance et le "vivre ensemble" dans les médias en France. » (Ndlr cette équipe particulière s’est rendue à l’Institut du Monde Arabe le jour même pour une visite Hip Hop, accompagnée du Président Jack Lang). Bien dit ; à méditer. Merci Combo !
Instagram/Twitter : @combo_ck
Facebook/YouTube : Combo Culture Kidnapper
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