Palmyre, Alep, Mossoul, Leptis Magna : les voici ressuscitées, le temps d'une exposition 100% numérique conçue par l'Institut du monde arabe. Pourquoi ce projet ? Et comment s'est-il construit ? Entretien avec Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du département des expositions de l’IMA et commissaire de l’exposition.
Le choix des quatre sites s’est fait par filtres successifs : ils sont à la fois situés dans le monde arabe, porteurs d’une histoire et d’une identité et victimes de destructions récentes.
En fait, c’est nous qui sommes allés le chercher ! Face aux destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe, il était important que l’IMA fasse entendre sa voix. L’une de nos missions, c’est de faire connaître ce qui se passe dans le monde arabe ; mais aussi de l’expliquer, de le contextualiser, afin de ne pas s’en tenir à un axe purement événementiel. En outre, notre président Jack Lang est particulièrement sensibilisé à ce type de questions; il est très investi dans l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH) créée en mars 2017 par la France et les Emirats arabes unis. Il a été nommé représentant spécial du président Hollande, puis représentant de la France au sein du conseil de l’Aliph.
Quant à la société Iconem, nous sommes depuis trois ans en relation avec elle – ainsi, elle a fourni à l’IMA, pour l’exposition « Chrétiens d’Orient » (septembre 2017-juin 2018), des images vidéos du monastère de Mar Behnam en Irak. Quand nous avons envisagé « Cités millénaires », c’est tout naturellement que nous nous sommes tournés vers Iconem qui, entretemps, avec collaboré avec la Réunion des musées nationaux pour « Sites éternels ».
Notre intention de départ était claire : montrer au public des sites du monde arabe –de préférence n’ayant pas encore fait l’objet d’expositions –, détruits ou menacés pour différentes raisons. Par ailleurs, nous ne souhaitions pas nous limiter à des sites archéologiques, mais conférer à l’exposition une dimension urbaine, de manière à pouvoir donner la parole aux populations.
Le choix des quatre sites s’est fait assez simplement, par filtres successifs : ils sont à la fois situés dans le monde arabe, porteurs d’une histoire et d’une identité et victimes de destructions récentes. La Syrie s’imposait, avec Palmyre, qui résonne dans l’imaginaire collectif, et la ville d’Alep – nous ne racontons pas la même histoire sur ces deux sites, qui sont du reste concernés par des facettes différentes du conflit syrien.
Mossoul s’est également imposée comme une évidence, s’agissant de la ville irakienne la plus touchée dernièrement – sa libération ne date que d’un an. En outre, sa très longue histoire, qui débute avec les Assyriens, permettait de l’inscrire dans un contexte historique dense et d’aborder son passé multiconfessionnel.
Quant à Leptis Magna, nous l’avons retenue car il était important de ne pas passer sous silence d’autres conflits, moins médiatisés actuellement. La Libye endure une longue guerre civile – depuis 2011 –, et nous voulions faire prendre conscience que le chaos qui y règne impacte, par contrecoup, ce site archéologique, même si les dégâts ne sont pas les mêmes qu’en Syrie, par exemple.
Enfin, une contrainte : nous avons dû nous cantonner aux sites dont nous pouvions obtenir des images et relevés. Iconem possédait déjà un vaste contenu sur la Syrie. Moins sur Mossoul, mais ses équipes ont pu y retourner ; Yves Ubelmann, le président et co-fondateur d’Iconem, qui fait toujours partie des missions, y était parti sous l’égide de l’Unesco. Pour Leptis Magna, il s’agit d’images inédites captées pour l’exposition, et s’y rendre n’a pas été des plus simples : il s’est écoulé deux mois entre la date de départ prévue et celle à laquelle l’équipe est effectivement partie. Et sur place, des conditions drastiques de sécurité devaient être réunies. Dans ce genre de mission, on n’est jamais sûr de ce qu’on va pouvoir rapporter. En ce sens, il s’agit bien d’une exposition inédite, qui s’est construite en fonction de la matière rapportée par Iconem. A l’origine, nous souhaitions inclure Sanaa, la capitale du Yémen, dans l’exposition, mais il s’est révélé impossible d’envoyer des équipes sur place ; faute de données suffisantes, nous avons dû renoncer.
Face aux destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe, il était important que l’IMA fasse entendre sa voix.
C’est justement pour cette raison, et pour contrebalancer l’aspect très visuel de l’exposition, que nous avons souhaité introduire de la poésie et de la littérature, en ménageant entre chaque salle des sas qui leur sont dédiés. Cela dit, voir le temple de Baal Chamine se relever comme par magie des décombres n’est pas dénué de poésie. L’imaginaire est toujours là, l’un n’empêche pas l’autre…
Dans une exposition, le visiteur est souvent passif ! Plus sérieusement, « Cités millénaires » ne consiste pas uniquement en images immersives, nous jouons sur plusieurs niveaux. Certes, tel que nous le prévoyons, la première sensation éprouvée par les visiteurs sera celle d’une immersion visuelle totale. Mais ensuite interviendra un second niveau de lecture détaché de l’image et tentant de répondre à des questions telles que : où est situé ce que je vois ? Que racontent ces images ? Les grandes tables de médiation numérique installées au milieu des salles sont chargées d’apporter du contenu : la situation des bâtiments, leur date de construction, de destruction, le contexte historique…
Parallèlement aux grandes salles d’immersion, dans de petites salles pensées comme autant de maisonnettes (la scénographie évoque l’architecture d’une ville arabe), le visiteur pourra découvrir une multitude d’aspects complémentaires : s’agissant de Mossoul, par exemple, apprendre dans un documentaire que la ville abritait naguère une importante communauté de chrétiens, mais aussi des yézidis et des juifs.
Il s’agit en somme de sensation transformée en connaissance, avant un retour à la sensation pure avec l’expérience en réalité virtuelle proposée par Ubisoft à la fin de l’exposition…
Nous avons l’ambition de faire venir à la fois notre public traditionnel, intéressé par le patrimoine, et un public plus jeune, attiré par l’utilisation des nouvelles technologies. Mais ici, celles-ci sont mises au service du patrimoine : c’est tout sauf un gadget !
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