La bibliothèque met à l'honneur une légende vivante de la chanson arabe, qui est aussi une femme engagée : Fayrouz. Au programme, la projection de Ma danse pour Fayrouz de Dominique Delapierre, suivie d'une rencontre-débat avec Abdallah Naaman, Lamia Safieddine, Régina Sneifer et Ahmad Chamseddine modérée par Jean Lambert.
LA TERRE EST À VOUS
N'oubliez pas que la terre se réjouit de sentir le frôlement de vos pieds nus / et que les vents joueraient volontiers avec vos cheveux. / Et vos sentiments sont emportés par le vent qui l'aspire / Et la terre est à vous / et vous êtes le chemin / Surgissez de vos chaînes, nus et forts / Et la terre est à vous / Sanctifiez la liberté / Afin que les tyrans de la terre ne vous gouvernent point.
Paroles : Gibran Khalil Gibran, Chant : Fayrouz, Musique : Ziad Rahbani
Lamia Safieddine. Originaire du Liban, Lamia Safieddine est l’unique chorégraphe à avoir mis en scène les chansons lyriques de Fayrouz (hors répertoire des danses traditionnelles). Elle a chorégraphié, tout au long de ses spectacles, plusieurs chansons devenues d’incontournables classiques comme A‘tini nâya wa ghanni, Btétloj eddini, Alqusu fil bâl, Tarîq ennahel, Fî zalâm elleil…
Dominique Delapierre. Réalisateur et directeur de la photographie depuis 1988, Dominique Delapierre a réalisé des documentaires et captations de spectacles : Passions écrites, Cargo, Corps de mots du groupe Têtes raides... Il a éclairé, entre autres, l’Olympia, le Cirque d’hiver, le Cabaret sauvage, l’Unesco, le musée du Quai Branly. Il est le créateur de lumière des spectacles de Lamia Safieddine depuis 1994. Il a mis également en lumière de nombreux documentaires, fictions ou émissions de divertissement pour les chaînes françaises, européennes, libanaises et marocaines, dont Despot Housewife (Planète), Koh Lanta (TF1), Les Ombres du Bataclan (Arte), Laïcité Inchallah (nominé aux césars techniques), Hibâl Errîh (2M), Hayâti (SNRT Maroc).
Il est des bonheurs qu’il faut mériter. On ne les apprécie que davantage. Fayrouz est la compagne de route qui enchante des générations de mélomanes arabes. Une relation passionnelle qu’elle entretient avec les peuples et qui transcende les âges, les convictions et les affiliations. Une relation qu’elle cultive et entretient avec des millions qui communient par le truchement de sa voix cristalline, mélodieuse et souveraine, mais aussi par son refus obstiné de se compromettre avec les pouvoirs politiques en place. Abdallah Naaman
« La terre levantine occupe une place centrale dans la production lyrique des Frères Rahbâni et de Fayrouz, un trio incomparable et en permanente communion. Une terre bénie de Dieu et de tous les dieux qui se révèle constamment dans un répertoire prolifique, cousu main. Des œuvres lyriques à fleur de peau qui plongent dans un terroir meurtri à intervalles réguliers, depuis la nuit des temps, puisant dans un passé glorieux des raisons d’espérer, une espérance pour comprendre le présent et éclairer les chemins de demain. Chez ce trio indissociable, l’appel de la terre reste un élément primordial, conçu et vécu comme une matrice et une mère universelle, et divinisé telle la Terre promise » Abdallah Naaman.
Abdallah Naaman est né à Beyrouth. Il partage sa vie entre l'enseignement, la diplomatie et l'écriture. Docteur ès lettres, auteur bilingue, passeur de culture, il a collaboré à la rédaction de plusieurs encyclopédies, dont deux aux éditions Larousse. On lui doit une trentaine d'ouvrages, dont À tire d'ailes, La Mort et Camus, Les Orientaux de France, Les Tendances laïques dans le monde arabe, Les Alawites. Histoire mouvementée d’une communauté mystérieuse et La Statue ébréchée de Charles de Gaulle. Sa trilogie Le Liban. Histoire d'une nation inachevée a obtenu le prix de l'Académie des sciences d'Outre-Mer.
« Fayrouz a réussi l'interaction du corps avec son environnement immédiat. Ella a su concilier l'authenticité de ses racines avec la réalité de l'époque moderne. Son corps, droit, est empreint de mouvements sobres, comme si son corps n’était qu’un médiateur de cette voix céleste qui sort du plus profond de ses entrailles. Elle s’est imposée et s’impose toujours par sa voix et la discrétion de son langage corporel dans un monde arabe complexe et complexé en mal avec son propre corps : corps humain, corps social, corps politique » Lamia Safieddine.
Lamia Safieddine, docteur en sciences de l'éducation et chorégraphe, a mis en scène de nombreux spectacles dans des salles prestigieuses, tels le Zénith de Paris, le Café de la Danse, l’Unesco, l’Institut du monde arabe, le New Morning, le théâtre Edouard VII, Masrah al-Madina, le théâtre Monnot, le théâtre du musée du Quai Branly… Elle a aussi partagé la scène avec nombre d’artistes de renom comme Alain Bashung, Vanessa Redgrave et Ibrahim Maalouf. Elle revisite à sa manière les danses de l’Orient. Née en Guinée, élevée au Maroc, au Liban, en Côte d’Ivoire, installée au Brésil puis à Paris, ses mouvements traduisent la richesse de tous ses voyages. Elle exprime l’interculturalité de la danse et son message universel. Ainsi sa danse est celle des voyages, des migrations, des rencontres entre les cultures, une danse arabe citoyenne du monde.
« Nous avons tant parlé de l'unique voix de Fayrouz. Mais Fayrouz est plus qu'une voix et surtout plus que la voix d'une femme. Il convient de déchiffrer comment Fayrouz avec sa voix, en vient à se transporter du plus intime d'une femme dans le plus intérieur de toute autre femme. Comment sa voix devient universelle tout en touchant le singulier de chacune d'elles dans ses sens et son essence.
Comment en l'écoutant chaque femme devient elle-même Shéhérazade ou Zanoubya. Comment avec Yalla tnâm Rîma, la berceuse de toutes les nostalgies, sa voix réveille en chaque femme à la fois la mère et l'enfant. Et quand elle chante l'amour, comment elle réussit à nous embarquer sans résistance dans un voyage où se tait tout le reste.
Un moment pour partager le miracle de cette voix sur laquelle chemine toute l'intensité du féminin » Régina Sneifer.
Régina Sneifer, cadre dans un groupe international, experte en transformation organisationnelle, diplômée d’HEC et en géopolitique, est l’auteure de plusieurs ouvrages : Une femme dans la tourmente de la Grande Syrie (Riveneuve, 2019), d'après les mémoires de Juliette Antoun Saadé, J’ai déposé les armes. Une femme dans la guerre du Liban (L’Atelier, 2006), témoignage de guerre traduit en arabe et paru aux éditions al-Fârâbi et préfacé par le politologue Georges Corm. En 2013, elle publie Benta’el. Fille de l’alphabet (Geuthner), un conte humaniste plongeant ses racines dans les lettres phéniciennes.
« La place exceptionnelle que tient Fayrouz dans les mémoires collectives et individuelles des Arabes en général, et des Levantins en particulier, est un phénomène connu qui ne laisse pas de surprendre, la longue et prolifique carrière de la chanteuse, ainsi que son charisme magnétique, ne suffisant pas à l'expliquer.
La clé de ce mystère se trouverait-elle dans les chansons de Fayrouz qui font de la mémoire et du souvenir, réels ou fantasmés, un refuge sûr où l'on se console de ses rêves et de ses illusions perdus, qu'ils soient collectifs ou personnels ?
Par ailleurs, malgré la force inspiratrice qu'elle continue d'être pour les nouvelles générations, aucune institution publique ou privée n'a à ce jour pris l'initiative de préserver son patrimoine et ses archives, et l'on constate jour après jour, vu l'absence d'une source d'informations fiable notamment sur Internet, le « saccage » de cette mémoire. Cependant, quelques admirateurs essaient contre vents et marées, et à leur petite échelle, de sauver ce qui peut encore l'être de cet immense patrimoine » Ahmad Chamseddine.
Ahmad Chamseddine est juriste de formation et chercheur indépendant en histoire de la musique libanaise et de l'industrie phonographique au Liban. Il s'intéresse particulièrement à la musique des Frères Rahbâni et à Fayrouz. Ses articles sur le sujet ont été publiés dans le quotidien Al-Akhbâr et dans le magazine Bidâyât. Il a également publié plusieurs articles sur l'histoire du festival de Baalbeck dans le quotidien L'Orient-Le Jour, Les Cahiers Jean Cocteau et la revue Citizen Jazz.
Rencontre modérée par Jean Lambert, anthropologue et ethnomusicologue, spécialiste de la musique au Yémen et dans la Péninsule arabique, ainsi que de l'histoire de la musique arabe. Maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle, Jean Lambert enseigne aussi à l’Université de Nanterre. Il a publié notamment le livre La Médecine de l’âme. Le chant de Sanaa dans la société yéménite et le coffret de 18 CDs Le Congrès du Caire de musique arabe (1932). Il s’intéresse également aux zajal, chants populaires du Liban. Il contribue à de nombreuses institutions spécialisées dans la préservation du patrimoine oral et musical comme la Maison des Culture du Monde et la Fondation AMAR.
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