Le temps où le terme « arabe » désignait le Bédouin, vivant sous la tente, traversant avec dromadaires et chèvres de vastes étendues arides, est depuis longtemps révolu. De nos jours, le nomadisme a quasiment disparu dans les vingt-deux États de la Ligue arabe, et dans les villes, les cybercafés côtoient les mosquées historiques. Néanmoins, les contrastes sociaux, à la fois entre les pays et à l’intérieur de chacun d’eux, demeurent importants : la vie d’un jeune homme de Dubaï ne peut que difficilement se comparer à celle d’une mère de famille d’un village de l’Atlas.
De nos jours, dans le monde arabe, trois personnes sur cinq vivent en ville. Mais ce chiffre ne doit pas masquer les fortes disparités qui existent entre les pays. Alors que 96 % de la population qatarie est urbaine, ce taux tombe à moins de 35 % au Yémen et au Soudan, et à 43 % en Égypte. C’est pourtant dans ce pays que se trouve l’une des plus grandes métropoles du monde : Le Caire, avec plus de vingt millions d’habitants (en prenant en compte l’ensemble de l’agglomération).
Qu’elles soient millénaires, comme Damas ou Tunis, ou récentes, comme Doha ou Abou Dhabi, les villes du monde arabe constituent des pôles où se regroupent des gens de classes d’âges et groupes sociaux divers pour travailler, étudier, se détendre, se soigner. Cinémas, hôpitaux, universités s’y concentrent, comme dans toutes les villes du globe. Les infrastructures peinent parfois à répondre aux besoins de populations de plus en plus nombreuses : l’insuffisance des transports en commun entraîne quotidiennement des embouteillages démesurés, et l’habitat « informel », en dehors de tout plan d’urbanisation, par exemple sous forme de bidonvilles, peut être important.
La ville est aussi le lieu de l’exercice du pouvoir, où se concentrent les principales institutions de gouvernement, à l’échelle d’un pays ou d’une région. C’est aussi le lieu où les inégalités sociales sont les plus criantes, et où la contestation peut naître, comme en 2011 lors des « printemps arabes ».
Ces embrasements sont d’autant plus faciles à comprendre dans le monde arabe que ses habitants sont jeunes, éduqués et connectés. L’âge moyen se situe autour de 21 ans, et plus d’un tiers de la population a moins de 15 ans, quand seulement 6 % environ est âgée de plus de 60 ans. Cette jeunesse représente à la fois un incroyable atout, et un immense défi : atout, car elle est une force de changement, de renouvellement social, un moteur économique aussi ; mais défi en matière d’éducation, de représentation politique, d’évolution des mœurs.
Tous les pays arabes disposent d’un système d’enseignement public, parfois hérité de la colonisation, et le taux d’alphabétisation global est d’environ 80 %. Cependant ce chiffre masque, là encore, d’importantes différences, entre les nations, entre les sexes, entre les catégories sociales. Savoir lire ne signifie pas accéder à des études avancées, surtout pour les femmes. Si, dans les pays du Golfe, les étudiantes sont parfois plus nombreuses que leurs camarades masculins – qui partent volontiers à l’étranger - sur les bancs des universités, trois femmes sur quatre ne savent pas lire au Yémen ou en Irak !
La guerre qui frappe certains pays depuis plusieurs années a bien évidemment d’importantes répercussions sur l’éducation des enfants comme des adultes. Même si l’enseignement primaire est généralisé, en dehors de certains pays subissant de violents conflits, le passage vers l’enseignement secondaire et supérieur n’est pas systématique. Dans les classements internationaux, le système d’éducation des pays arabes arrive souvent dans les dernières positions : les méthodes d’enseignement, généralement basées sur le par-cœur, les programmes parfois orientés idéologiquement, sont souvent critiqués. Néanmoins, des réformes ambitieuses s’engagent, comme à Dubaï, et les systèmes privé et étranger sont plébiscités.
On ne peut nier les grands progrès de la condition féminine réalisés au cours du XXe siècle : baisse de la mortalité au moment de l’accouchement, diminution du nombre d’enfants par femmes, augmentation de l’âge au mariage… L’espérance de vie des femmes progresse généralement plus rapidement que celle des hommes depuis les années 1950 : en 2004, elle était de 75,8 ans pour les femmes en Algérie, contre 73,8 ans pour les hommes ; l’année précédente, en Égypte, la différence était encore plus marquée : 71,9 ans pour les femmes et 67,5 ans pour les hommes !
Malgré ces avancées, les femmes demeurent confrontées à des mentalités qui valorisent leur rôle de fille, d’épouse et de mère, plutôt que leur émancipation. Ces valeurs, qui reposent en partie sur le droit musulman, peuvent mener à des situations inextricables et à des violences. Dans certaines classes sociales, les « crimes d’honneur », commis par sa propre famille envers une femme supposée avoir bafoué l’honneur (en général, par des relations extra-conjugales), existent encore en Syrie, en Jordanie, en Égypte, malgré de nombreuses améliorations et l’action efficace d’associations féministes. Les mariages forcés restent fréquents dans de nombreux pays, ainsi que la pratique de l’excision en Égypte, même si elle n’a aucun fondement religieux.
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Comme dans d’autres sociétés, la famille, dans son acception large, reste l’une des bases des structures sociales, et peut être un carcan pour les femmes. Toutefois, les choses évoluent : si la tradition préconise que les hommes et les personnes âgées y exercent l’autorité, et que les mariages doivent être plutôt endogames (au sein du groupe familial élargi, par exemple entre cousins), on note le développement de plus en plus fort du modèle de la famille nucléaire, centrée sur le couple et ses enfants. Déjà rarement pratiquée au cours de l’histoire, sauf pour démonter sa richesse, la polygamie a quasiment disparu du monde arabe et le divorce est une pratique courante. L’éducation des femmes est un outil fondamental de leur émancipation, comme le prouvent certaines études qui soulignent le lien entre l’utilisation de moyens de contraception et le niveau d’études.
Femmes et jeunes se considèrent souvent comme des catégories exclues de la vie économique et politique de leurs pays. Et pour cause : le marché de l’emploi leur est souvent difficile d’accès, avec un taux moyen de 30 % de chômage. Dans le monde arabe de manière générale, 25 % seulement de femmes travaillent. Malgré le développement des études supérieures, peu de jeunes trouvent ensuite à s’employer à des postes utilisant leurs compétences.
La représentation politique est aussi problématique : les pouvoirs mis en place dans la seconde moitié du XXe siècle, après la décolonisation, sont souvent toujours aux mains d’hommes politiques qui peinent à se renouveler, et de moins en moins en phase avec l’évolution de la société. Soumises à une forte pression sociale, les femmes préfèrent quant à elles s’engager dans des associations, ou pour des actions caritatives, que directement en politique.
Cette situation explique en grande partie les révoltes de 2011, qualifiées de « printemps arabes », contre des dirigeants autocratiques. La révolution des médias et un accès de plus en plus facile et répandu à Internet, souvent par le biais des téléphones portables, facilite ces bouleversements de l’ordre établi. En Tunisie, la révolution a porté un grand espoir et permis l’établissement d’un régime démocratique ; mais la Syrie et le Yémen se sont enlisés dans une violente guerre civile, accentuée par des lobbys islamistes, qui gagnent en puissance et gangrènent le paysage politique de tous les pays arabes.
Les sociétés du monde arabe sont donc traversées par de nombreux paradoxes. Les valeurs traditionnelles fondées sur la religion, tout autant que l’idéologie issue des luttes anticoloniales, sont réutilisées et transformées dans les doctrines islamistes ; mais elles sont confrontées aux modèles occidentaux de la famille, de l’économie et de la politique véhiculés par les médias, dont Internet. Les soubresauts qui secouent actuellement le monde arabe ne sont que les séismes qui témoignent d’un grand mouvement de fond, dont on ne peut qu’espérer qu’ils mèneront à une émancipation des peuples.
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