En attendant les divas…

La directrice du service des expositions de l'IMA présente « Divas arabes. D'Oum Kalthoum à Dalida »

Published by Brigitte Nérou | On 7 February 2020
Oum behind the curtain close up, Yasmin Raeis ©Razor Film
Yasmine Raïs dans « Looking for Oum Kulthum » de Shirin Neshat, 2017. © Razor Film

La prochaine exposition événement de l'IMA, « Divas arabes. D’Oum Kalthoum à Dalida », ouvre ses portes le 13 mai prochain. Elle fera revivre de grandes figures féminines du chant, de la danse et du cinéma qui furent autant d'égéries du monde arabe.  « Avant-visite » d’un parcours d'exception, élaboré à partir d’un impressionnant nombre de pièces, objets, photos, créations, films… encore jamais montrés. Notre guide : Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du service des expositions.

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Les années 20, c’est l’époque où naissent en Égypte les premiers mouvements féministes, où elles investissent le spectacle vivant, manifestent… ; et aussi où Le Caire attire à lui les artistes du monde arabe, notamment du Liban, venus y faire carrière. C’est tout ce contexte que nous cherchons à expliciter autour de la figure de femmes emblématiques.
Pourquoi faire débuter l’exposition dès les années 1920 ? La grande époque des divas arabes, c’est un peu plus tard…

Parce que c’est à cette époque que naissent en Égypte les premiers mouvements féministes, portés par des femmes comme Hoda Charaoui ou Sophia Zaghloul. Les années 20 sont celles des premiers dévoilements, des premières manifestations de femmes, de leur première « prise de pouvoir ». C’est alors qu’elles investissent le domaine du spectacle vivant, avec l’apparition des cabarets, que fréquente la bourgeoisie.
Les années 20, c’est aussi l’époque où Le Caire attire à lui les artistes du monde arabe, notamment du Liban, venus y faire carrière. C’est tout ce contexte que nous cherchons à illustrer et à expliciter, toute cette évolution politique et créative, autour de la figure de femmes emblématiques.
Nous allons plonger le visiteur dans cette ambiance cairote des années 20 dès l’entrée du parcours : après avoir franchi un rideau de perles sur lequel seront projetés le visage des divas, il va se retrouver en plein Caire, avec le sentiment de traverser physiquement les rues de la ville – notamment grâce à des projections, mais aussi à un univers sonore sur mesure.
Ce premier plateau, celui du niveau 1, est aussi appelé à accueillir un salon bourgeois reconstitué : une period room, en quelque sorte, revisitée par nos scénographes et destinée à la fois à expliquer et contextualiser la naissance des mouvements féministes et l’émergence des femmes qui les ont portés ; comme dans tout salon qui se respecte, il comprendra une bibliothèque, renfermant les titres de référence du renouveau politique et culturel de l’époque. L’espace sera structuré par une multitude de cimaises présentant chacune une figure féminine ; un espace très ouvert, où les visiteurs déambuleront et, à travers des photos, vidéos, documents, découvriront les femmes qui annoncent l’émergence de la figure de la diva.

Et la musique, dans tout ça ?

J’ai évoqué un « univers sonore sur mesure » : nous avons fait appel à un designer sonore, Thierry Planelle, chargé de créer une bande son qui accompagnera le visiteur depuis son entrée dans l’exposition jusqu’à la sortie. Elle est pensée comme un parcours global ; autant dire que musique et sons seront présents sur tout le parcours.
Par ailleurs, pour en revenir aux années 1920-1930, ce sont également celles de développements technologiques importants, avec la part grandissante de la radiodiffusion, l’amélioration de la facture des disques et l’essor des disques à aiguille, etc. Cette époque est aussi celle du passage d’une musique savante à une musique de divertissement, plus populaire, et de l’influence du théâtre dans les premiers films. Le cinéma devient parlant en 1932 – nous allons présenter dans cet espace le premier film parlant égyptien. C’est tout ce passage, ces imbrications, cette évolution que nous présenterons au public dans ce premier espace, le parcours s’accompagnant d’une grande diversité d’œuvres : photos, disques, extraits de films, vidéos d’archives…

Pochette de disque Oum Kalthoum

La 2e partie de l’exposition débute avec quatre divas mythiques : Oum Kalthoum, Warda, Asmahan et Fayrouz, quatre divas aux personnalités et aux parcours très divers. Comment allez-vous faire ressortir cette diversité ?

C’est une partie dans laquelle nous utilisons les codes scénographiques du théâtre, avec son rideau de velours rouge et ses pinceaux de lumière ; le visiteur doit avoir le sentiment de pénétrer dans des coulisses… Pour autant, chacun des quatre espaces dédiés aux quatre divas sera personnalisé au gré des objets et archives réunis ; le scénographe Pascal Payeur a souhaité créer une ambiance différente pour chacun – car ces divas ont eu en effet des vies très différentes –, et ainsi raconter leur histoire, leur vie personnelle et professionnelle, mais aussi leurs engagements politiques ; en quoi leurs prouesses vocales leur ont-elles valu le titre de « divas » ? Quel rôle ont-elle joué ? En quoi ont-elles fait évoluer leur temps ? A chaque espace sera associée une bande sonore spécifique.
Nous avons porté notre choix sur ces quatre grandes figures précisément en raison de la diversité de leurs destins : Oum Kalthoum, née dans une famille pauvre à la toute fin du xixe siècle, qui débuta en interprétant des chants religieux habillée en garçon avant de faire la carrière qu’on lui connaît ; Asmahan (1912-1944), princesse druze morte prématurément – il en reste peu de traces matérielles, au point que nous avons créé une vidéo pour retracer sa vie –, qui a nourri les fantasmes masculins des décennies durant ; Warda, la plus contemporaine (elle était née en 1939), Franco-Algérienne dont la carrière précoce, à Paris où elle était née, à Beyrouth puis en Égypte, s’interrompit dix ans durant pour… cause d’interdiction maritale. La Libanaise Fayrouz, enfin, la seule des quatre encore en vie, qui à l’inverse des trois autres a mené une existence discrète mais n’en demeure pas moins une icône absolue, aussi bien au Liban que dans l’ensemble du monde arabe.
Nous allons faire revivre ces divas à travers leurs chansons, leurs photos, leurs objets personnels…, mais aussi leurs passages au cinéma. Fayrouz, notamment, a joué dans des comédies musicales, ce que rappellera l’affiche d’un de ses films : une immense toile peinte (plus de 4 m de long), visuellement très impressionnante ; et une pièce très rare, car de telles affiches ont pratiquement toutes disparu aujourd’hui.
Que pouvaient ressentir ces divas en entrant sur scène ? C’est ce que nous donnons à éprouver au visiteur, qui quitte leurs « loges », traverse le rideau et entre en scène. De grandes photographies suspendues évoquent le tarab, l’extase musicale que fait naître l’écoute de la musique. Il est ensuite invité à « rejoindre le public » et à s’installer sur des gradins pour visionner des extraits de concerts de Warda, Fayrouz et Oum Kalthoum. Dont, pour cette dernière, un document inédit : des images de répétitions tournées par Youssef Chahine pour réaliser un biopic et jamais utilisées. C’est un moment important de l’exposition, où le public va pouvoir se poser, prendre le temps de s’imprégner du son et de l’image, réellement apprécier les performances vocales de ces divas.

Affiche du film Cherchez la femme, de et avec Assia Dagher, 1939

Les divas, c’est aussi la grande époque du cinéma égyptien…

Nous allons bien sûr consacrer au cinéma tout un pan de l’exposition. L’industrie cinématographique du Caire, le « Nilwood », fut l’une des plus prolifiques au monde dans les années 1940 et 1950 ; elle fit venir à elle des stars de l’ensemble du monde arabe, avec le lancement entre-deux-guerres du grand genre de la comédie musicale : des films divertissants aux scenarios assez simples, un peu à l’eau de rose, et beaucoup de musique et de « danse du ventre » – ce que popularisera particulièrement Samia Gamal : c’est toute cette superproduction qui va être évoquée, notamment à l’aide d’une multitudes d’affiches et d’extraits de ces films et comédies musicales.
Nous exposerons également des robes, des tenues… C’est la partie la plus glamour de l’exposition ! Une dizaine de robes de Sabah, deux de Dalida, des objets personnels de Leila Mourad spécialement acheminés du Caire… : tout un univers mis en valeur par un jeu de lumière spécifique, très « cinématographique », et même une interview inédite de Leila Mourad.

Vous avez également dédié un espace à la chanteuse française Dalida, pourquoi ce choix ?

Dalida, c’est un pont entre le monde arabe et l’Occident, et c’est pourquoi nous avons souhaité la partie sur les divas avec elle. Car c’est en Égypte qu’elle a fait ses débuts : elle est née au Caire (en 1933) au sein d’une famille italienne qui s’y était installée. Et, outre le fait qu’elle a été élue miss Égypte en 1954, elle a débuté sa carrière comme actrice, dans des films tournés dans son pays natal : Un verre une cigarette et Le Masque de Toutankhamon. Nous allons en montrer des extraits, ainsi que des photos inédites prêtées pour l’occasion par Orlando [son frère et manager]. Nous évoquerons également l’unique album qu’elle a enregistré en langue arabe.


Musiciens, plasticiens, vidéastes, photographes et street-artistes s’inspirent inspirent énormément des divas arabes de nos jours, et elles sont encore beaucoup écoutées dans le monde arabe.
Vous avez évoqué un environnement sonore très présent tout au long du parcours. Mais immerger le visiteur suffit-il pour lui faire prendre la mesure du rôle qu’ont joué ces divas dans la musique arabe ?

C’est une thématique qui méritait une salle à part entière : nous avons donc imaginé un espace spécifique, conçu en collaboration avec des ethno-musicologues. Il se propose, à travers les performances de ces divas, d’expliquer en quoi elles ont fait évoluer la manière de chanter et profondément influé la musique à travers le monde arabe ; et en quoi les évolutions technologiques ont joué dans cette évolution – le passage du 78 tours à un format plus court contraignant à raccourcir les chansons, la part croissante de la radio et l’ouverture à un nouveau public, etc. Un espace un peu plus technique que le reste de l’exposition, où le visiteur s’installera dans un fauteuil pour écouter un choix de chansons (une dizaine) accompagnées chacune d’une analyse musicologique.

La fin des divas, c’est la fin d’un âge d’or. Ne cédez-vous pas à une certaine nostalgie ?

Justement pas ! Nous évoquons la fin de cet âge d’or, et celle de Nilwood, la grande époque du cinéma égyptien. Mais c’est pour explorer ensuite l’héritage contemporain des divas. Car musiciens, plasticiens, vidéastes, photographes et street-artistes s’en inspirent énormément de nos jours, et elles sont encore beaucoup écoutées dans le monde arabe.
Nous allons présenter dans cette dernière partie des œuvres volontairement très diverses. Citons la vidéo de Youssef Nabil I Saved My Belly Dancer (2015) avec Tahar Rahim, et Salma Hayek en danseuse orientale, hommage à Samia Gamal et à ses comédies musicales ; une installation créée spécialement pour l’exposition par Lamia Ziadé, l’auteure du très beau roman graphique Ô nuit, ô mes yeux (2015), à partir de dessins inédits et d’objets personnels, évocation de la nostalgie que font naître ces divas ; des extraits du film de l’Iranienne Sherin Nashat Looking for Oum Kulthum  (le film sera projeté en avant-première française parallèlement à l’exposition) ; des photographies de Nabil Boutros, etc. Et une installation, spécialement créée pour l’occasion par Waël Kodaih et Randa Mirza – connus du public, notamment parisien, pour leurs soirées-concerts audio, musique et vidéo Love and Revenge – qui occupera toute la dernière salle : un théâtre optique mêlant hologrammes de Tahia Carioca et Samia Gamal dansant, vidéos en arrière-plan et bande sonore mixant vieux tubes et extraits de films. C’est sur cette œuvre à la fois inédite et très forte, véritable mise en abyme de la thématique même de l’exposition, que s’achève le parcours.

Brigitte Nérou, rédactrice en chef du blog de l'IMA
Brigitte Nérou Avec plus de quinze ans d’expérience dans l’édition, Brigitte a rejoint l’Institut du monde arabe en 2003 comme secrétaire de rédaction du magazine Qantara . Elle prend à présent la... Lire la suite
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