«16 janvier 2017, 9h30. Je rencontre Emeric Lhuisset dans son atelier parisien. Lhuisset est un artiste qui traite de problématiques géopolitiques, un homme de terrain qui utilise l’esthétique dans son travail comme un piège pour capturer le regard et amener le regardeur à réfléchir sur une problématique donnée.»
L'approche d'Emeric Lhuisset: comprendre les événements historiques de l’intérieur et les vivre, aussi longtemps que nécessaire, pour pouvoir mieux les retranscrire plastiquement. De Kaboul à Kirkuk en passant par les montagnes du Pakistan, d’Irak et de Colombie, il s'est ainsi appliqué à faire rejouer leur propre réalité à des combattants d'un groupe de guérilla dans des mises en scènes de peintures de la guerre franco-prussienne de 1870, et à filmer en continu 24 heures de la vie d'un combattant de l'armée syrienne libre dans la province d'Alep et d'Idlib. Ou encore à travailler sur la question du soft power et de la diffusion de l'American way of life comme facteur d'influence en Irak, ou sur celle du lien entre jeux vidéo et zone de guerre avec les FARC.
Séduire celui qui regarde est très important dans mon travail et le poème du Dormeur du val d'Arthur Rimbaud m'a véritablement influencé.
Au cours de notre entretien matinal, Lhuisset me fait part des mots qui l’ont inspiré dans sa démarche artistique. «Le dormeur du val (Arthur Rimbaud) est un poème que je trouve magnifique. Je vais te le lire : “C'est un trou de verdure où chante une rivière, / Accrochant follement aux herbes des haillons / D'argent…” Nous sommes sur l’image d’un Jardin d’Eden : la lumière, la rivière, le jeune homme étendu dans l’herbe… Tout a l’air très beau et au fur à mesure, une dramaturgie s’installe dans le poème sans que l’on s’en rende réellement compte. On comprend seulement à la fin que l’on parle d’un soldat qui a été tué…
Séduire celui qui regarde est très important dans mon travail et ce poème, que j’ai appris à l’école et qui a toujours été un peu présent dans mon esprit, m’a véritablement influencé. »
J'avais déjà rencontré Emeric Lhuisset dans le cadre d’une visite guidée de son exposition, «Last water war, ruins of a future», dans le musée de l’Institut du monde arabe, un mois auparavant. Son objectif: «donner à voir un conflit qui n’existe pas à travers l’esthétique de la ruine».
Pour ce projet, réalisé en Irak sur le site archéologique de Girsu, l’artiste a traité la problématique d’une nouvelle grande guerre de l’eau en puissance à travers plusieurs perspectives. Il a photographié ce qui demeure de cette ville, l'une des plus importantes au monde pendant plusieurs millénaires. En ce lieu, où sont nées la civilisation et l’écriture, règne désormais un désert. Le seul bâtiment visible est la structure d’un pont. Des photos, des vidéos (réalisées par l’ONG Nature Iraq, représentée par Sarah Hassan), des objets archéologiques et des documents d’archives, répartis sur trois étages de l’Institut du monde arabe, témoignaient des problèmes liés à l’eau en Irak.
Pour entrer dans le détail du sujet et appréhender tous les enjeux soulevés par cette problématique, Lhuisset a conçu un livre-objet à la fois artistique et scientifique, divisé en quatre parties: trois respectant les approches élémentaires – géopolitique, climatique, historique – et une consacrée au regard critique porté par le romancier et critique d’art Philippe Dagen. Ce «livre» se présente sous forme de cartes glissées dans un étui: des photographies de pied et aériennes sont imprimées sur les rectos tandis que les versos servent de supports pour les textes rédigés par Allan Kaval, Julia Marton-Lefèvre, Sarah Hassan, Ariane Thomas et Philippe Dagen.
Alexandra S. Jupillat
Emeric Lhuisset abordera prochainement une nouvelle problématique, celle des migrants. Son projet est de suivre leurs traces selon une approche intimiste. Il s'agit en effet d'un milieu qu'il connaît de l'intérieur – il a en particulier des amis kurdes originaires de différentes régions du Moyen-Orient. Il s’est rendu sur l’île de Lesbos en Grèce le mois dernier pour immortaliser les traces de migrants, et est sur le point de rendre visite à des connaissances aujourd’hui installées en Allemagne et au Danemark. Dans le cadre de ce nouveau projet, il souhaite également faire entendre la voix de la deuxième génération issue de l’immigration, installée en France depuis très longtemps.
Que font ces migrants aujourd’hui? Qu’est-ce qui symbolise leurs vies passées leurs vies présentes et futures? Lhuisset tentera de retranscrire leurs pensées au travers de ses nouveaux tirages, pour lesquels il recourt à la technique du cyanotype qui donne des clichés de couleur bleue. Il fera ensuite appel à un procédé chimique pour rendre ces tirages sensibles à la lumière du soleil, chaque image disparaissant progressivement au fil de l'exposition pour laisser place à des monochromes bleus. Un écho à la mer Méditerranée, où bien des migrants perdent la vie, mais aussi à l’Europe, dont la couleur symbolique est le bleu. Qu’on le veuille ou non, les migrants font partie de l’Europe du futur… Welcome!, comme l'artiste l'a sérigraphié sur un drapeau français. Titre de l'œuvre : «À mes amis d'ailleurs».
Pour en savoir plus sur l'artiste et ses projets : http://www.emericlhuisset.com
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